Mes débuts dans un cabinet d’avocats d’affaires parisien

Publié le 18 septembre 2009 par Julienpouget

Pardon pour le teasing. Il ne s’agit pas de ma vie personnelle mais d’une nouvelle rubrique du blog. L’idée est simple : suivre les débuts de jeunes diplômés dans le monde de l’entreprise.

Cette semaine, j’ai rencontré Marc*, 27 ans qui fait ses débuts dans un cabinet d’avocat d’affaires parisien. Son témoignage n’est à l’évidence pas représentatif de l’ensemble de la profession mais il est riche d’enseignements sur les lacunes du management dans ce type de structure.


Peux-tu te présenter. Quel est ton cursus ?

J’ai prêté serment en 2008 après deux DESS et 18 mois de formation à l’EFB (école du barreau). Cette période de formation comprend en réalité 16 mois de stage que j’ai effectué dans deux cabinets d’avocats différents. J’ai ensuite accepté une offre de collaboration.

Comment a tu choisi ta première collaboration ?

Les deux cabinets où j’étais en stage m'ont fait une offre et j’ai choisi le plus gros, tout simplement. Pas tellement pour l’argent car les rétrocessions d’honoraires étaient un peu près équivalentes dans les deux offres.

C’est à dire…

3800 euros par mois. Mais attention, cette rétrocession d’honoraires n’est pas l’équivalent d’un salaire. Nous devons payer des charges importantes et le « net » est plus proche de 1900 euros, ce qui n’est pas exceptionnel pour un Bac+8.

Ta journée type ?

Les horaires c’est 9h-20h. Ce n’est pas officiel mais il est assez mal vu de partir avant 20h et en pratique, tu as rapidement droit des remarques plus ou moins sous le ton de la plaisanterie.

Les associés partent du principe qu’il faut être là quand le client appelle, quelque soit l’heure. Et puis comme par hasard, on reçoit souvent une demande urgente vers 19h.

Mais en tant que profession libérale, n’es tu pas libre de ton organisation de travail ?

C’est vrai. Théoriquement, j’aurais même le droit de développer ma propre clientèle. Mais en réalité, on t’affecte une charge de travail telle qu’il est quasi-impossible de développer une clientèle ou de s’absenter une après-midi pour une obligation.

Une anecdote à ce sujet : à mon arrivée au cabinet, j’ai demandé à prendre une journée de congé pour le réveillon. Cela a fait toute une histoire avec les associés et j’ai fini par faire la permanence du cabinet.

Ce qui est étonnant, c’est que cela n’est pas toujours justifié par l’activité. Simplement, certains associés ont la mentalité « quand j’étais jeune, j’en ai bavé alors il n’y pas de raison pour que ça change. »

Comment êtes vous managé en tant que jeunes avocats ?

En fait, c’est simple, on n’est pas managé. Contrairement au stagiaire qui n’a quasiment rien le droit de faire, le jeune collaborateur est assez seul dans son travail.

L’élément qui compte le plus pour l’associé dont il dépend est son niveau de « billing » {facturation}. C’est d’ailleurs son principal sujet de préoccupation.

Cette obsession de la facturation entraine des effets pervers. Il y a la pression bien sûr, mais aussi le fait qu’il est compliqué de demander de l’aide à un collaborateur plus senior. Officiellement, rien ne l’interdit mais l’associé qui voit qu’un senior a passé du temps à t’aider le lui reprochera en disant que son temps aurait pu être « mieux utilisé » (à facturer en clair).

En période de creux, cette pression du billing a aussi des effets sur l’organisation. Les personnes en retard sur leurs objectifs ont tendance à essayer de piquer les dossiers des autres.

Comment êtes vous évalués ? Avez des évaluations annuelles, à l’image des salariés ?

Dans la mesure où il est très facile de se séparer d’un avocat (NB : pas de procédure de licenciement – un simple préavis à respecter), les entretiens de fin de période d’essai n’existent pas.

Quant à l’évaluation annuelle, c’est un peu une blague. Ton associé te rappelle ton niveau de billing en te disant qu’il faudra accélérer la cadence pour l’année à venir.

On te rappelle ensuite les quelques boulettes que tu as pu commettre et on finit par t’annoncer à combien se monte ton augmentation. Et comme les augmentations sont souvent faibles (~200 euros), on te tient souvent un discours du type « on a fait un effort particulier pour toi ».

« T’annoncer », Il n’y a pas de négociation ?

En fait non. Parler d’argent chez les avocats, cela reste un peu tabou.

Même entre jeunes collègues ?

Non, là on échange sans problème et c’est d’ailleurs souvent amusant.

On a par exemple réalisé qu’on avait tous eu exactement la même augmentation  avec le même discours ("on a fait un effort spécial pour toi"). Les associés n’ont visiblement pas conscience que les jeunes collaborateurs se parlent…

Tes jeunes collègues ont-ils envie de gravir les échelons et de devenir associé ?

C’est très rare. Les associés eux-mêmes ont des vies pourries. Ils ont des revenus importants mais sont complètement esclaves du cabinet. La plupart sont divorcés ou célibataires et n’ont pas de vie de famille.

Non, la majorité des jeunes se disent qu’ils vont faire quatre-cinq ans en cabinet et qu’ils iront ensuite en entreprise. Le turnover des collaborateurs est d’ailleurs important.

Pour finir, comment vois-tu cette profession évoluer dans les années à venir?

Sur le plan métier, je constate que les plaidoiries ont tendance à diminuer et que ce métier devient de plus en plus un métier de dossier.

Sur le plan de l’organisation, je suis assez pessimiste. Beaucoup de collaborateurs expérimentés et mêmes de jeunes seniors sont dans l’optique « il faut en baver pour y arriver ».

* Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat

crédit photo : marveric2003