Les motivations de l'entrepreneur

Publié le 04 décembre 2009 par Jlhuss

Suite et fin de la communication de Patrick Tuphé sur le rapport avec l’argent.

L’argent peut-il être la seule motivation de l’entrepreneur patrimonial ?

1) L’appât du gain


Dans tous les cours de micro-économie, il est précisé en introduction que l’objectif d’une entreprise est d’abord de maximiser le profit.
Est-ce à dire que tous les chefs d’entreprise sont cupides et n’ont pour seule ambition que d’amasser des richesses ?
Il serait malhonnête de nier que l’appât du gain est un moteur indéniable, mais l’est-il plus chez les entrepreneurs que pour tout un chacun ?
Il est rare de croiser quelqu’un qui souhaite gagner moins d’argent !
Le profit constitue la rémunération du capital investi, du risque pris par le propriétaire de l’entreprise. Il est une motivation réelle et légitime mais pas uniquement dans le but de se verser des revenus à court terme.
Le profit est aussi un marqueur de la pertinence de la gestion de l’entreprise et de son positionnement sur le marché.

Cet indicateur est repris par de nombreux organismes dont la fonction est d’informer le monde de la finance de l’état de santé d’une entreprise, de son avenir prévisible et surtout de sa capacité à honorer ses engagements. Ainsi, les assurances crédit dont j’ai parlé antérieurement, jouent un rôle déterminant car leur refus d’assurer les créances d’une firme place cette dernière en difficulté vis-à-vis de ses fournisseurs.


La banque de France, de son côté, attribue une cotation annuelle à chaque entreprise. Cette cotation est utilisée systématiquement par les organismes de crédit et les organismes publics pour décider de l’aide à apporter ou non à une entreprise.
Dans ce contexte, la motivation du dirigeant pourra être de valoriser au mieux son entreprise par sa solidité financière et inscrire son projet dans la durée avec l’espoir de tirer profit de son investissement et de son travail lors de la cession de son entreprise.
Malheureusement, les entreprises patrimoniales sont très difficiles à vendre. Les repreneurs ne sont pas légion et beaucoup d’entre elles ferment pour cessation d’activité. Le propriétaire fait valoir ses droits à la retraite sans avoir réussi à trouver un acheteur y compris parmi ses salariés.


L’argent n’est pas la motivation première des entrepreneurs patrimoniaux.
Certes, il est impossible de généraliser. Il existe dans tout corps social des individus qui n’agissent que par avidité. Concernant les entreprises, il suffit d’aller au tribunal de commerce pour s’en persuader. On retrouve souvent les mêmes qui réalisent des coups tordus au détriment de leurs créanciers et de leurs salariés. Mais les entreprises saines se reconnaissent entre elles et excluent quand c’est possible les brebis galeuses du troupeau en refusant de travailler avec elles.


Face aux rémunérations astronomiques des grands patrons, des traders, des stars du sport et du show-biz, il est bon de rappeler que la rémunération moyenne nette d’un patron de PME s’élevait en 2005 à environ 4000 € par mois.
Pour un entrepreneur patrimonial, l’argent est avant tout un moyen et non une fin. Les exigences de l’entreprise passent avant les siennes.

2) La liberté de créer


La liberté me paraît être une motivation plus conforme à la connaissance que j’ai de ce milieu. Dans la représentation habituelle, les patrons ont la liberté de travailler quand ils veulent et de dépenser l’argent de l’entreprise comme ils le souhaitent. Tout cela est matériellement vrai, mais il s’agit de la face apparente de l’iceberg. Cette forme de liberté est une illusion. Les chefs d’entreprise sortent difficilement de leurs préoccupations professionnelles et leur liberté d’utiliser l’argent de l’entreprise à leur guise se heurte rapidement et légitimement à la législation fiscale et à l’interdiction de commettre des actes anormaux de gestion.


Leur motivation repose plutôt sur la liberté de créer, de construire, de sculpter un monde sur lequel ils ont une véritable influence : leur entreprise.
J’ai occulté volontairement dans la présentation de mon CV ma petite expérience du monde politique. La différence majeure entre le monde politique et celui de l’entreprise se retrouve concentrée dans cette notion de liberté d’action.
L’action politique, celle qui se traduit par des changements dans la vie des citoyens est le résultat d’un process très complexe, très long, qui passe d’abord par la conquête du pouvoir. De plus, l’action pour laquelle les « politiques » militent, se retrouve parfois complètement dénaturée au moment de sa mise en œuvre au fil des concertations, des compromis et des règlements de toutes sortes.
L’entreprise patrimoniale offre cette possibilité de traduire rapidement dans les faits une idée, un projet collectif ou individuel, une opportunité.


Ce goût pour la création, pour le risque, constitue, à mon sens, la motivation première, l’argent étant un des moyens pour réaliser le projet et un indicateur de sa pertinence à travers les résultats obtenus au final.
Ce résultat sera quantifiable à travers le profit généré mais il peut aussi prendre une forme complémentaire. L’entrepreneur patrimonial, libre dans ses choix, peut aussi rechercher un résultat qualitatif par la recherche d’harmonie dans son entreprise.
Autrement énoncé, l’entrepreneur va créer de la richesse, en produisant des biens ou des services, mais il peut aussi chercher à créer du bonheur pour ses salariés et pour lui-même.

3) L’indépendance


Une autre motivation repose sur l’indépendance que procure l’argent.
Bien sûr, l’indépendance n’existe pas réellement. Une entreprise ne peut jamais s’éloigner des besoins de ses clients. Cependant, la présence de fonds propres suffisants autorise une liberté de ton vis-à-vis des tiers, un rejet de la compromission sans avoir à mettre en danger le devenir de son entreprise. Une entreprise qui dispose de suffisamment d’argent en réserve peut se permettre sans difficultés de refuser de faire n’importe quoi au nom de sa survie. Elle peut aussi, en cas d’agression, se donner les moyens de se défendre et d’ester en justice si la situation l’exige. En effet, l’expérience prouve qu’il vaut mieux être riche pour intenter une action en justice dans le monde des affaires.

Pour conclure…

Ce dernier point m’amène à conclure par la notion de morale. En réalité, les relations à l’argent d’un entrepreneur patrimonial dépendent avant tout de l’entrepreneur lui-même.
L’ouvrage du philosophe André Comte-Sponville « Le capitalisme est-il moral ?» est fort intéressant en la matière.
Quelle que soit la nature de l’activité, quel que soit le cadre juridico-politique dans lequel évolue l’entreprise, les limites morales à ne pas franchir dans l’exercice de leur pouvoir ne dépendent que des hommes eux-mêmes.
Par exemple, le fait de diriger une entreprise dans le secteur social ne suffit pas à démontrer que l’on est moral dans son comportement professionnel.
André Comte-Sponville donne un exemple, en s’appuyant sur l’existence de formations dispensées par de grandes écoles de commerce dont le thème est «l’éthique est une source de profit». Il fait remarquer, à juste titre, que si un décideur doit choisir entre une action morale très juteuse financièrement et une action immorale totalement catastrophique en terme de profit, il y a peu de chances que l’intéressé se fasse des nœuds au cerveau. En réalité, le problème se pose lorsqu’il y a conflit entre le profit et la morale.
Notons que dans un tel cas, le mandataire social d’une multinationale cotée en bourse aura une marge de manœuvre bien plus étroite que le chef d’entreprise patrimonial. Ce dernier décidera pour lui-même - puisqu’il n’a pas d’actionnaire ou de supérieurs hiérarchiques auxquels il doit rendre des comptes - et il le fera avec d’autant plus de facilité s’il dispose de fonds propres importants comme je le précisais il y a quelques minutes.

Les relations à l’argent d’un entrepreneur patrimonial relèvent donc d’une alchimie entre le respect de l’équilibre financier de son entreprise, le respect ou non du travail de ses salariés, la satisfaction de ses besoins personnels, tout cela étant arbitré par sa propre morale. Ainsi à chaque choix qu’il effectue, la moralité du chef d’entreprise patrimonial est interrogée. Et en toute liberté, il lui appartient - seul - de donner sa propre réponse. C’est une vraie responsabilité.

Je conclurai par cette citation d’André Prévot, que va adorer Christian Boutet, un de mes associés : « Il faut regarder l’argent de haut, mais ne jamais le perdre de vue ! »

Patrick Tuphé