Coaching et Sciences Humaines, par Dominique Jaillon

Publié le 10 janvier 2008 par Jean-Louis Richard

Dans un article publié en 2005, nous indiquions combien nous étions inquiet de voir surgir un grand nombre de formations au coaching qui affichaient des références discutables et des promesses fallacieuses.

Depuis, un certain nombre de livres ont été écrits pour mettre en garde le public vis-à-vis de pratiques d’accompagnement se réclamant du coaching et annonçant des résultats miraculeux dans le domaine de l’évolution des comportements ou du développement de la confiance en soi, par une soi-disant « révélation » de «  trésors cachés » dont nous serions tous dépositaires...

(Cet article a été publié sous le titre "De la nécessité d'ancrer la formation au coaching dans les sciences humaines et sociales" dans le No 1 de Fil d'Ariane de décembre 2007 disponible ici)

La plupart des offres de formation que nous avons étudiées présentent une vision caricaturale des relations interpersonnelles, de la dynamique des groupes et du fonctionnement de l’appareil psychique. Le coaching y est en effet présenté comme un produit miracle qui permet par exemple : « d’aider les individus, les groupes, les équipes, les organisations à devenir plus matures et plus autonomes, à développer de la confiance et de la loyauté vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres, ainsi que la capacité à mesurer et à prendre des risques en équilibrant leurs besoins de sécurité et d’innovation ».

Dans ces offres fallacieuses qui promettent un « renouveau de la vie adulte », le coaching vise à  apporter une philosophie, des informations et des outils qui facilitent la création d’équipes, la planification stratégique et le leadership personnel.


Pour cela, le futur coach doit (en 12 jours de formation) « apprendre comment générer de l’espoir, de l’énergie et des attentes positives et réalistes ».

Il est invité, (grâce à 3 jours de formation supplémentaire), « à apprendre à découvrir les avantages et frontières de la séduction en définissant et en augmentant l’estime de soi-même, en identifiant sa capacité à plaire et à capter le plaisir et … faire naître la reconnaissance ».

En tournant le dos à l’héritage des sciences humaines et sociales, (ou en s’économisant l’effort de comprendre cet héritage), ce type de discours propose une psychologisation simplificatrice et réductrice des dynamiques sociales et politiques et des relations humaines, (dont il nie la dimension sociologique). La conception de l’accompagnement sous-jacente à ce discours est donc à l’opposée de notre propre conception du coaching.

De quel "coach" parlons-nous ?


Dans la Lettre que nous avons adressée début 2007 aux membres de la S.F.Coach et qui figure sur le site de celle-ci, nous formulions le projet suivant :

« Je souhaite développer, au sein de l’association, une activité de réflexion et de capitalisation sur les pratiques des coachs, leurs références théoriques et la dimension éthique de leur métier, afin qu’ils s’affirment comme praticiens réflexifs et congruents.

En effet, en tant que coach, nous accompagnons des personnes en réflexion sur des problématiques de pouvoir, d’autorité, de motivation, de place, d’identité, d’employabilité, etc.

Ceci, dans des organisations confrontées à des problématiques de productivité, de rentabilité, de gestion et de stratégie de conquête de marché mais aussi et c’est un point qu’il faut aujourd’hui souligner, de pérennité. Comment faisons-nous cohabiter tous ces termes ? En référence à quelles valeurs ? Et à quelle éthique ? »

Nous répondrons à ces questions en explicitant notre représentation du coach, en tant que praticien réflexif.

Un praticien réflexif et congruent

Un praticien réflexif est d’abord un praticien c’est-à-dire un homme ou une femme qui, certes exerce une activité d’accompagnement mais qui, en outre produit une autre activité : une activité de réflexion sur sa pratique. Cette activité se développe selon deux axes.

Premièrement, la réflexivité se définit par le fait de se prendre soi-même comme objet d’observation à des fins d’analyse et de compréhension de son action. Elle permet une prise de distance à l’égard de l’expérience immédiate par l’intermédiaire du langage. Elle désigne le lien dynamique entre langage et pensée, entre pratique langagière située et activité cognitive. Elle nécessite la construction d’un espace intersubjectif : «dans une perspective dynamique, la pensée se construit par l’échange avec les autres, elle ne s’individualise que progressivement» (Chabanne, 2006). En effet, la parole n’est pas un simple moyen de traduction de la réalité subjective. Elle fonctionne plutôt comme moyen de faire advenir à l’intelligibilité ce qui n’est pas encore conscient. Cette propriété du langage tient au fait que parler à quelqu’un est un moyen très puissant de penser ; surtout lorsqu’il s’agit de penser l’expérience vécue subjectivement. Le langage acquiert cette puissance lorsque la parole est adressée à autrui.

Deuxièmement, un praticien réflexif s’entraîne en permanence, à la mise en lien de son activité avec un ensemble de théories et de concepts opératoires issus principalement de la psychosociologie, de la sociologie clinique et de la psychanalyse. Ces concepts sont nécessaires à la compréhension de cette activité.

Un praticien réflexif est donc un praticien-chercheur qui, comme le disait Henri Lefebvre (1976), fait tout pour éviter le double écueil de « la vie sans concept et du concept sans vie ».

Comment s’exercer à la réflexivité ? Comment développer sa congruence ? En quoi ces deux termes sont-ils indissociables ? Nous proposons de montrer comment l’articulation de ces deux termes est au fondement d’une formation à l’accompagnement professionnel de type coaching, à travers une clinique de soi, une clinique de l’activité et une éthique de la responsabilité.

Une activité d'introspection dans le cadre d'une clinique de soi


Un praticien réflexif est un praticien qui se prend lui-même pour objet de recherche et qui, dans ce but met en œuvre des méthodes et techniques appropriées :

a)Tout d’abord, en rendant compte lui-même de sa pratique dans des dispositifs tels que le journal de coaching, la rédaction d’études de cas, de monographies de coaching, etc. Textes dans lesquels il rend compte de situations de coaching singulières et de la manière dont il a procédé pour conduire son travail d’accompagnement.

b)Ensuite, en analysant son implication dans l’exercice de son activité de coach et notamment en réfléchissant sur son histoire de vie du point de vue de la question de l’accompagnement.

c)Troisièmement en analysant ses émotions, attitudes et comportements en situation, dans le cadre de dispositifs conçus pour que se rencontrent deux activités malheureusement trop souvent séparées, voire présentées comme antagonistes : comprendre et éprouver, penser ce que l’on éprouve.

Ces lieux peuvent être des groupes de pairs, des groupes d’échanges de pratiques, des groupes d’analyse de pratique et bien sûr, la supervision. A condition que cette supervision soit faite par des coachs expérimentés, ayant la compétence d'articuler les théories des sciences humaines avec l'expérience de l'action dans les organisations.

En conclusion de ce premier point, disons que le praticien réflexif doit « travailler ce qui le travaille » et donc en tant que coach, travailler la question de l’accompagnement. L’enjeu de la réflexivité à ce niveau « individuel » est un enjeu de congruence : il s’agit pour chaque coach d’être connecté à ses fondations afin de construire un style de coaching dans lequel s’articulent ce qu’il dit, pense, ressent et fait.

Une activité réflexive fondée sur l'analyse de la pratique dans le cadre d'une clinique de l'activité


Un praticien réflexif examine sa pratique en se référant à des théories qui lui donnent une grille de lecture lui permettant de comprendre les dynamiques existantes entre les dimensions psychologique, subjective et existentielle de l’activité professionnelle. Ceci est d’autant plus nécessaire si l’on considère, la séance de coaching comme un moment de co-construction de savoirs. Car la co-construction des savoirs est la caractéristique majeure du coaching. Ce qui le différencie d’autres pratiques telles que l’expertise ou le conseil. La pratique de coaching repose moins sur des techniques sophistiquées que sur un véritable sens clinique, fondé sur l’écoute de la parole d’un sujet, considéré comme étant en interaction permanente avec son environnement organisationnel, économique et institutionnel.

Un praticien réflexif crée un cadre contenant et protecteur qui favorise des processus de symbolisation par la mise en mots, en dessins, en action (jeux de rôle) à travers des modes d’expression créative. Il crée les conditions d’un examen de la pertinence des lois, des règles, des coutumes, des conditionnements, de l’ordre établi. Ce que la sociologue clinicienne, Fabienne Hanique, appelle un « cadre porteur de sens ». C’est un cadre dans lequel le coach incarne la loi tout en créant un ordre non répressif. C’est un cadre qui permet de concevoir de nouvelles articulations entre dimension existentielle et dimension professionnelle, un cadre qui permet « l’alchimie clinique » (Gaulejac, 2007), c’est-à-dire la transformation du cuivre en or (Freud), la transformation de la culpabilité, du manque, de la souffrance etc. en analyseur (Loureau, 1970) et en ressource pour l’individu. C’est donc un cadre qui favorise une double réflexivité : celle du coach et celle du coaché.

En conclusion de ce second point, signalons que nous disposons désormais d’un outil très pertinent pour réfléchir sur nos pratiques. Il s’agit du référentiel de compétences du coach élaboré par  la SFCoach. Chacun peut examiner sa pratique de coach au regard des critères énoncés dans ce référentiel afin de se situer vis-à-vis d’eux et mener une réflexion sur les liens (et les frontières) entre réflexivité, évaluation et professionnalisation.

Une activité de réflexion sur la dimension sociale et politique de l'activité de coaching dans le cadre d'une éthique de la responsabilité


L’activité de coaching est questionnée et critiquée aussi bien par des sociologues du travail que par des psychiatres ou des philosophes, qui dénoncent le caractère normatif, adaptatif, programmatif et de formatage de l’individu, qui seraient selon eux, inhérents à toutes les pratiques de coaching.

Nous pensons que nous avons, en tant que coach, à réfléchir à ces critiques et à nous situer dans ce débat.

Pour ma part, je considère que malgré le ton polémique et la propension que ces critiques ont à vouloir « jeter le bébé avec l’eau du bain », nous avons à nous intéresser à ce qu’ils disent et écrivent. Nous ne concevons pas le coaching comme devant contribuer à la “régression du politique au psychique” pour reprendre l’expression du socio-analyste Gérard Mendel.

Tout d’abord parce que l’accompagnement individuel en situation professionnelle, ne repose ni sur l’idée selon laquelle individu et groupe seraient en opposition, ni sur l’idée selon laquelle l’activité de coaching accentuerait cette opposition au seul profit de l’individu. Bien au contraire, nous considérons  d’une part, que la personne ne s’individu psychiquement qu’en relation avec un collectif. Nous pensons, d’autre part, que l’objectif d’un coaching individuel ou d’équipe est, précisément de travailler le problème de la relation entre l’individu et le collectif, dans une perspective d’articulation des dimensions individuelles, groupales, organisationnelles, sociales et politiques.

C’est pourquoi nous ne faisons l’impasse ni sur la compréhension du fonctionnement de l’appareil psychique, ni sur la compréhension du fonctionnement des relations humaines, ni sur la compréhension du fonctionnement institutionnel des organisations.

Pour nous, seule une approche pluridisciplinaire des relations humaines peut éviter de tomber dans le piège de la psychologisation des rapports sociaux. Comme le notait déjà Claude Lévi-Strauss en 1960 : Tout se passe comme si chaque individu avait sa propre personnalité pour Totem.


Etre un praticien réflexif dans une société post-moderne qui fait reposer sur l’individu seul, la responsabilité de sa réussite sociale, économique et professionnelle, c’est donc tout mettre en œuvre pour ne pas devenir un simple agent, contribuant à son insu, à l’érection et à la renarcissisation permanente des totems individuels : le sien et celui de ses clients.

Conclusion


On dit souvent pour simplifier que l’engouement vis-à-vis du coaching s’inscrit dans un contexte de montée de l’individualisme, de délitement du lien social  et de psychologisation des rapports sociaux.

La question est donc bien celle de la responsabilité et de l’exigence du coach. Comment le coach se situe-t-il fondamentalement face à ce constat de « délitement » et cette affirmation d’une montée inexorable de l’individualisme ?

L’accompagnant contribue-t-il à renforcer cette évolution sociale et à adapter la personne accompagnée à ces phénomènes ? Ou bien, au contraire aide-t-il la personne à se dégager de cette emprise idéologique ?

Face à la désinstitutionalisation et à la dépolitisation, bref à la privatisation de la vie en société, l’accompagnement des individus et des groupes, consiste plus que jamais selon nous, à travailler les articulations entre l’individu, le groupe, l’organisation et l’institution.

Ceci impose de relever le défi théorique et pratique d’une formation à l’accompagnement de type coaching, dans des institutions définies non pas comme simples « organisations » mais comme le mouvement par lequel des forces sociales s’inscrivent dans des formes organisationnelles complexes.

Si la notion de praticien réflexif est au cœur de nos actions de formation, c’est parce qu’elle caractérise le coach que nous nous employons à former : homme ou femme qui déjoue les pièges de la pensée unique et ne se laisse pas assujettir à une école ou à un système, à un maître ou à un gourou. Une personne qui ne se laisse pas emprisonner dans une conception applicationiste du savoir et sait choisir et renouveler ses connaissances, (plurielles, multi-référencées). Un professionnel qui ne se lasse pas d’interroger les normes dont il est porteur : normes sociales, existentielles, relationnelles, organisationnelles.

L’exercice de cette liberté passe bien sûr, et c’est fondamental, par la culture du lien social : l’ouverture aux autres, la recherche de l’altérité, de la discussion, de la confrontation à des théories et des pratiques différentes. C’est ce que nous nous employons à réaliser dans les dispositifs de formation et de recherche que nous mettons en œuvre.

Notes de l'auteur et bibliographie disponibles dans le texte original d'ArianeSud

Dominique Jaillon, Sociologue-socioanalyste, Coach, Président de la Société Française de Coaching SFCoach

Maître de conférences, Université de Clermont II

Chercheur au Laboratoire de Changement Social, Université Paris 7-Denis Diderot

8, rue Baulant, 75012 Paris

dominique.jaillon@wanadoo.fr