Précarité et contrat de travail

Publié le 02 mai 2012 par Laurent

Chers lecteurs,

En ligne depuis le 5 janvier, vous avez été 273 à répondre au « sondage du moment » qui avait pour question :
« Pour trouver un emploi, êtes-vous prêt à...... »
- 20% accepter un contrat précaire CDD, intérim (55 votants)
- 19% accepter un métier qui n'est pas le votre (52 votants)
- 19% accepter de partir à l'étranger (52 votants)
- 17% être payé moins que ce que vous estimez devoir être payé (47 votants)
- 12% ne rien accepter de tout cela (33 votants)
- 6% accepter des horaires ou des conditions de travail difficiles (19 votants)
- 5% accepter un travail à temps partiel (15 votants)
Les résultats de ce sondage montrent que pour trouver un emploi vous êtes 20% à « accepter un contrat précaire ». Profitons de ces résultats pour faire un point sur le contrat de travail et ses différentes formes possibles. Mais avant de traiter directement de ce sujet, prenons de la hauteur et regardons d’une part le « contrat » sous un aspect générique et historique. Pour d’autre part nous recentrer sur le contrat de travail et nous intéresser à son histoire, ainsi qu’à son état à aujourd’hui, mais aussi à ces formes futures.
Alors que le « contrat » nous paraît parfois bien moderne et occidental. Dans la réalité, il nous est plus que millénaire… En effet, les toutes premières preuves de « contrat », nous parviennent des profondeurs de l’histoire à travers le « Code de Hammurabi ». Ce dernier nous conte l’histoire d’Hammurabi, roi de Babylone au XVIIIe siècle avant J.-C., à travers décisions de justice, lois et autres contrats commerciaux établis avec les grandes cités de la Mésopotamie.
Enjambons quelques siècles, pour nous retrouver au cœur de l’empire romain, dans la domus de Lulius Paulus un célèbre avocat et juriste romain du IIIe siècle. Nous pourrions échanger allègrement avec lui sur le droit civil, pénal et pourquoi pas assister à l’un de ses cours de droit public ! Les romains théoriseront le droit et nous donnerons la plupart de nos bases juridiques d’aujourd’hui et notamment celle liées au contrat. Revenons à nos temps modernes et notamment à l’actuel Code Civil français, qui trouve ses racines et origines dans le Code Civil Bonaparte, et, qui définit le contrat dans son article 1101 :
« Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose »

Après avoir posé les bases historique du « contrat » ainsi que son contenu juridique, concentrons-nous sur un contrat en particulier : le « contrat de travail ».
Prenons notre capsule temporelle et voyageons de nouveau à travers l’histoire ! Arrêtons-nous, en Europe au haut Moyen-Âge, le travail n’est pas une valeur très à la mode à l’époque, c’est l’oisiveté et la contemplation qui règnent en maître ! D’ailleurs, le mot « travail » n’apparaît qu’au XVIe siècle… Dans la culture chrétienne du haut Moyen-Âge, la besogne est punition divine, le serf est un être asservi, le travail ne commencera à trouver grâce qu’après l’an mil. C’est alors l’époque, du bas Moyen-Âge des premiers métiers, des statuts, guildes, hanses et autres gestes… Des communautés magnifiées par la renaissance, le retour au beau ainsi que par le travail du Maître Artisan et qui donneront naissance à un système : la corporation.
Dès lors ce système organise les relations au travail sous l’Ancien Régime (apprentissage, hiérarchie, salaires...) et segmente les métiers en communauté. A l’intérieur de chaque corporation existe des règles, des us, une hiérarchie et un pouvoir disciplinaire. Chaque corporation fonctionne sur un principe à trois niveaux : le Maître, l’Apprenti, le Compagnon et d’un quatrième acteur, bien souvent oublié, l’Ouvrier.
1) L’Apprenti, il commence généralement à 14 ans, pour une durée de quatre ans en moyenne, avec un maximum à 12 ans, nos CDD actuels font alors pâle figure ! Un contrat est signé devant notaire, les parents s’engageant notamment à couvrir les frais de bouche et d’entretien.
2) Le Compagnon, bénéficie d’un contrat d’une année, la durée indéterminée n’avait à cette époque pas la même valeur qu’aujourd’hui et faisait d’ailleurs plutôt référence à l’esclavage, ce que nombre de Compagnon refusait… Le Compagnon était avant tout un homme libre, fort de son savoir-faire et donc capable de se rendre indispensable à l’activité de son Maître !
3) L’ouvrier, aussi connu sous la dénomination de « journalier » n’avait quand à lui pas bien le choix et son CDD d’une journée semble de bien courte durée à comparer à nos actuels contrats précaires !

Continuons notre voyage dans le temps pour nous retrouver en 1789, la Révolution Française gronde, c’est le temps des changements : abolition des privilèges, loi Le Chapelier et décret d’Allarde font table rase du passé et rendent obsolète le système des corporations. L’objectif des révolutionnaires est simple : supprimer les corps intermédiaires entre la nation et le citoyen, mais aussi libérer le marché du travail :
« Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouve bon » extrait du décret d’Allarde de mars 1791.
Enfin, il faudra attendre le XXème siècle et l’année 1910, pour qu’une loi codifie les premières lois ouvrières, notamment celle de 1841, limitant le travail aux enfants à partir de huit ans ! Ainsi que la reconnaissance légale du fait syndical en 1884 ou encore la loi de 1909 garantissant le versement du salaire à intervalles réguliers et la retraite à partir de 65 ans ! C’est en 1922 que sera achevé ce premier Code du Travail.

Aujourd’hui, le contrat de travail se définit d’une part sur l’article 1101 du Code civil, l'article L. 1221-1 du code du travail précisant : « Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun... », d’autre part sur trois éléments essentiels : la prestation, la rémunération et le lien de subordination. Depuis les années 50 cohabitent CDD, intérim et CDI, ce dernier devenant la norme dans les années 70 et en 1999 sur le plan européen. L’histoire du CDI nous semble alors bien courte et symptomatique de cette fin du XXème siècle. En 2010 sur une population active de plus de 25 millions de personnes : 12% sont sous un statut non salarié et 88% sont sous statut salarié dont 10% avec un contrat précaire (CDD et intérim), 1,5% d’apprentis et 76,5% en CDI (y compris fonctionnaire).
Notons que les CDD et intérim se sont développés à partir des années 70 et 80 à l’aune du durcissement des règles de licenciement. Le marché de l’emploi est complexe, il fonctionne notamment sur une règle de « destruction créatrice » relevé par Joseph SHUMPETER, c'est-à-dire qu’il doit détruire des emplois pour en créer de nouveaux et ainsi de suite. Donc moins vous détruisez d’emploi, moins vous en créer ! Plus de deux tiers de nos emplois sont « indestructibles » par définition, car à durée indéterminée. Notre marché du travail se sclérose, les emplois précaires se pérennisent, ne jouant pas leur rôle de tremplin vers le CDI… Une question se pose alors : faut-il protéger les emplois ou les personnes ?
Certains répondent à cette question avec la notion de « flexisécurité » et notamment la création d’un contrat de travail unique. L’objectif étant de créer un CDI avec des modalités de licenciement plus souples permettant de répondre, en partie, à la règle de « destruction créatrice ».
Le débat est en tout cas rude entre les partisans du tout CDI et autres talibans de la « fléxisécurité » ou bien encore les jusqu’au-boutistes prêt à jeter le Code du Travail aux orties !
Pour ma part, j’espère vous avoir fait réfléchir à cette notion de précarité et vous propose un nouveau « sondage du moment » :
« … Quel est à votre avis, la priorité pour améliorer le travail aujourd'hui ? … »
- Augmenter les salaires
- Arrêter la course à la rentabilité et la productivité
- Prendre le temps de faire du travail de qualité
- Travailler mieux et tous
- Travailler moins mais tous