Robinson et son Ile.

Publié le 23 juin 2015 par Lemondeapres @LeMondeApres

Il faut accorder plus d’importance à la tendance naturelle de notre cerveau à organiser, tout seul dans son coin, sa propre représentation du monde. Nous formons sans cesse dans notre tête des concepts qui acquièrent une réalité pour notre pensée sans qu’il soit nécessaire que des objets leur correspondent dans le monde réel.

La construction de « notre monde » suppose toujours un certain déni de réalité. Chaque chose est à sa place et en principe y reste longtemps car notre cerveau développé nous rend capable d’une grande persistance dans l’erreur. Nous percevons un danger lorsque quelque chose finit par apparaitre ailleurs qu’à sa place attendue. Il survient en effet, tôt au tard, une difficulté qui ne peut être résolu qu’en changeant la représentation que l’on se fait du monde, ce qui s’avère en général bénéfique.

Changer « son monde » est difficile : en supposant le principe de rupture accepté, il faut aussi faire le deuil du monde que l’on quitte ce qui entraine un délai d’autant plus long que le déni de réalité aura été persistant. L’histoire de Robinson Crusoé et plus généralement le mythe de l’ile déserte, nous aide à prendre conscience  de notre capacité à organiser notre monde selon notre volonté mais aussi de l’intérêt qu’il y a, de temps en temps, à changer les représentations que l’on s’en fait.

Lorsque, récompensé de ses efforts, Robinson parvient enfin à bâtir une pirogue pour s’échapper de son ile, le voila pris par le désespoir et l’angoisse de la perdre : « Ainsi nous ne voyons jamais le véritable état de notre position avant qu’il n’ait été rendu évident par des fortunes contraires, et nous n’apprécions nos jouissances qu’après que nous les avons perdues. »

Jusque la Robinson n’avait d’autres ambitions que d’exploiter son ile pour reproduire le mode de vie qu’il connaissait avant d’être naufragé. L’histoire change complètement quand Robinson, ayant réussi non sans mal à retourner dans son ile, fait accidentellement la connaissance d’un homme qu’il appelle Vendredi : « Sur ce il me dit quelques mots, qui, bien que je ne les comprisse pas, me furent bien doux à entendre ; car c’était le premier son de voix humaine, la mienne exceptée, que j’eusse ouï depuis vingt-cinq ans. ».

Vendredi en tant qu’être humain constitue, au même titre que Robinson, une « structure normative de perception du monde ». Mais elle est différente et donc complémentaire à celle de notre héros qui a donc maintenant la possibilité d’accroitre sa perception du monde au travers de celle de son compagnon. Ensemble sur leur ile,  ils deviennent capables d’appréhender le milieu naturel comme un réservoir de possibilités pour l’action. Cela leur permet d’expérimenter d’autres modes d’existence que ceux qui préexistaient dans leurs cerveaux.

Devant le développement à grande échelle de l’internet social, je me sens parfois un peu comme Robinson découvrant Vendredi. La mise en place de relations de coopération avec un grand nombre de personnes donne la possibilité non seulement d’identifier des solutions aux problèmes qui se posent mais aussi d’enrichir sa représentation du monde avec des éléments de réalité, invisibles pour moi mais apportés par le regard des autres. Cette dynamique collaborative évite de trop se focaliser sur des optimums locaux personnels pour privilégier des critères globaux d’optimisation. Et vous, qu’en pensez vous ?