Management, intelligence collective et coopération : le cas SNCF

Publié le 14 décembre 2015 par Dunod @PratiquesRH
Comment développer les compétences managériales à grande échelle ? Comment favoriser, avec les réseaux apprenants, l'intelligence collective au service de la transformation continue des entreprises et du renforcement de la culture client ? Dans quelle mesure le digital peut-il favoriser l'engagement dans une formation présentielle et la consolidation de ses acquis ?

Rencontre à la SNCF avec Thierry Raynard (à gauche), Responsable du pôle conseil et intelligence collective (réseaux d'accompagnateurs du changement), coauteur du livre Les Réseaux d'apprenants et Gérard Bourmeau (à droite), Responsable du Pôle " Formations managériales transverses ", tous deux au service de l'Agence d'accompagnement des managers de la SNCF...

Quel est le rôle de l'Agence d'accompagnement des managers de la SNCF ?

L'" Agence d'accompagnement des managers " a été créée en 2014 au sein de la Direction " Cohésion et ressources humaines ferroviaire " de SNCF. Nous nous positionnons au niveau corporate. Pour l'entreprise, les formations socles transverses sur " quels types de managers on souhaite avoir " relèvent d'une politique de groupe.

Notre domaine, c'est l'accompagnement social et humain du changement. Nous avons aussi au sein de l'Agence un pôle " Études et recherches ". Nous sommes en effet reconnus sur le domaine de l' innovation managériale qui se traduit déjà non seulement dans le nouveau programme de formation des managers mais également par de nouvelles façons de faire : par exemple, combiner le leadership hiérarchique et le leadership d'influence ; aller vers les démarches apprenantes ; aller vers le codesign.

Nous sommes reconnus par l'ensemble de l'entreprise pour proposer et expérimenter des démarches puis les diffuser dans les différentes entités si elles y trouvent un intérêt.

Focus sur les formations métiers et branches

Le Groupe SNCF comporte trois EPIC (Établissement public industriel et commercial), qui sont :

  • la SNCF en tant que holding de tête, à laquelle nous appartenons (9 000 personnes),
  • l'EPIC Mobilités (100 000 personnes) ;
  • l'EPIC Réseaux (50 000 personnes), fruit de la fusion de Réseaux Ferrés de France (RFF) et des personnels de l'infrastructure SNCF

Chacune de ces entités a ses propres DRH et ses propres équipes de formateurs. Les formateurs Mobilités et Réseau s'occupent des formations métiers, et nous co-construisons avec eux les formations transverses. Ils connaissent les besoins, ils viennent nous sourcer pour les formations transverses et financent ces formations. Ils se montrent particulièrement intéressés par les formations centrées sur le versant comportemental et relationnel du management dans le quotidien, qui travaillent sur l'interaction entre les collaborateurs, qui les rendent presque acteurs-promoteurs de leur propre travail, car c'est une approche très innovante. On met en œuvre tout un process pour injecter des éléments d'intelligence collective dans ces formations. La meilleure des réussites, c'est quand notre programme n'est plus tamponné " agence " mais qu'il devient partie intégrante du programme de formation des branches et que nos formateurs en management interviennent dans leurs parcours de développement. " Ce qu'on lance, il faut que ça marche ! ".

Des réseaux apprenants au service de la co-construction du changement

[Thierry Raynard] Les réseaux apprenants (réseaux " physiques ") constituent pour la SNCF un des dispositifs originaux d' accompagnement du changement lorsque l'on a affaire à des enjeux qui ne sont pas circonscrits à une branche, à une activité, mais se trouvent à l'interface de différents domaines. Il s'agit de co-construire le changement avant de le conduire, en privilégiant le partage d'expériences et dans une logique inter-métiers. C'est dans l'interaction, en connaissant l'autre, en prenant conscience de l'autre, en étudiant les écarts de points de vue que l'on peut co-construire des solutions.

Un jour, j'ai posé la question à une dirigeante : Comment choisissez-vous les sujets que vous donnez aux réseaux apprenants ? Elle m'a dit : " Quand on ne sait pas les traiter en comité de direction, on leur donne ! ". Il faut une sacrée dose d'humilité pour le reconnaître ! La démarche apprenante est fondée sur la participation d'acteurs volontaires, qui vont solliciter différentes parties prenantes et travailler en inter-métiers.

L'expérience montre que les collaborateurs qui ont envie sont en général des personnes qui ont une certaine technicité, mais qui ne mettent pas en avant cette technicité : ils valorisent d'abord l'envie de travailler sur un sujet.

Le réseau apprenant commence par une partie " laboratoire ". Ensuite il va falloir expérimenter. Car si vous ne passez pas à l'expérimentation, le réseau apprenant reste de l'ordre du café du commerce !

Ce qui est important également dans la démarche apprenante, c'est que l'on va jouer sur les écarts de points de vue, loin donc du consensus mou. Pourquoi, lorsque je suis contrôleur, quand je monte dans mon train, j'ai une certaine vision de ce qui se passe dans la gare ? Pourquoi, si je suis derrière mon guichet, j'ai une autre perception du flux ? Et pourquoi en ai-je une autre si je suis à la direction régionale ? Cela ne veut pas dire qu'il y a une perception qui est plus importante, plus intéressante qu'une autre : j'ai simplement une vue d'hélicoptère qui est différente. L'objectif des démarches apprenantes est de mettre en lumière ces différents écarts de points de vue, non pas forcément pour les réduire, mais pour en avoir conscience et pour voir en quoi mon action a un impact sur la vision de l'autre.

Les réseaux apprenants peuvent également accueillir en leur sein les bénéficiaires du service. Nous donnons ainsi une dimension co-design.

Comment différencier démarche apprenante et innovation participative ?

Dans la démarche apprenante, la gestion de ces écarts de point de vue est importante. Il peut y avoir des désaccords profonds, par rapport à des enjeux de sécurité par exemple. On pose un désaccord, et du coup cela nous permet de nous mettre d'accord sur ce sur quoi on va travailler. Chez nous, ce sont des dimensions nouvelles ou qui étaient peu explorées auparavant. De plus, la grande différence entre une démarche apprenante et l'innovation participative est que l'innovation qui résulte de ces groupes apprenants est expérimentée par eux. Les agents n'ont pas des idées pour les autres mais des idées que leur cercle d'influence leur permet de tester.

Quel est le rôle éventuel du manager dans un réseau apprenant ?

Pour qu'un réseau apprenant fonctionne, il faut que le manager change de posture. On est vraiment dans la pyramide inversée : le manager se met en ressource du collectif. Le rôle du manager va être de challenger ses équipes, d'être vraiment dans le questionnement. La posture du patron ne va pas être de dire oui ou non, ce qui est la posture naturelle (je suis chef, je dois décider), mais de questionner les équipes, de faire profiter les équipes de son propre réseau de contacts. Le manager doit être ferme sur le résultat mais complètement souple sur le chemin, et même sur le produit de sortie.

Animer un réseau apprenant

Ce qui caractérise aussi les réseaux, c'est la compétence d'animation pour les faire vivre. Il s'agit de faire fonctionner des groupes qui se réunissent sur l'envie et le plaisir - ce qui est rarement le cas en mode projet classique - de susciter l'initiative, de faire en sorte que les participants actionnent les bons leviers. Tout cela se travaille et s'apprend.

Dans quelle mesure les réseaux apprenants complètent-ils, ou pas, le processus de digitalisation de l'entreprise ?

Les réseaux apprenants existants sont essentiellement des réseaux physiques. Le digital vient en appoint. En revanche, de ces réseaux émergent des solutions digitales. Par exemple, SNCF a diffusé dans toute l'entreprise un logiciel de suivi de la maintenance issu d'un groupe apprenant de managers de proximité. Un produit conçu sur une relativement courte période, là où une équipe projet classique aurait mis plusieurs années. La philosophie tendue par le digital (boucle d'expérimentation courte, essai/erreur/essai...) est très proche de l'apprenance. L'ADN entre les deux démarches est aussi fort qu'entre digital et numérique.

Quel est, à la SNCF, l'usage du digital pour l'accompagnement des formations managériales ?

Le digital peut devenir un véritable outil d'apprenance. Le portail RH de la SNCF s'est redéployé et a amélioré son ergonomie et la structuration de l'information dans une optique user centric.

Le digital accompagne aussi les formations managériales. Créé en janvier 2015, le pôle de formation de la SNCF a complètement restructuré son programme socle en management. Notre dispositif pour les managers, Dimensions manager, a été entièrement repensé dans ses contenus et dans sa pédagogie. Il couple formation en présentiel et capsules digitales d'accompagnement.

La première formation opérationnelle avec des managers sur ce nouveau programme a débuté au printemps 2015. C'est une formation sur les fondamentaux du management, en particulier pour les managers de proximité, ciblée sur le comportement et la relation à l'autre. La formation en présentiel se déroule sur quatre journées espacées d'un mois de pratique. Chaque journée en présentiel réunit une dizaine de managers.

Le numérique soutient ce programme de formation sur la durée, par le biais de capsules digitales courtes, dynamiques, attractives et décalées, qui s'avèrent très impliquantes.

En amont du démarrage de la formation, on adresse en effet à chaque manager une capsule digitale d'invitation, favorisant l'appropriation du programme et incitant le N+1 à devenir partie prenante de cette formation. Elle comporte une vidéo du Président qui soutient personnellement fortement ce programme.

Ensuite, en préparation de chaque nouvelle journée, le manager reçoit une nouvelle capsule digitale de " pre-work ", avec le temps d'attention requis, un temps très court (2 minutes à 2 minutes 30), qui peut comporter une vidéo sur le prochain sujet présentiel (ex. : vidéo incitant à se méfier des apparences, parce que dans le programme on va traiter de l'interculturalité), de petites animations, voire des sondages. L'objectif de l'envoi de ces capsules en amont, c'est de donner envie, d'ouvrir l'esprit, de donner quelques éléments de théorie et de montrer des pratiques managériales qui ne marchent pas (ex : un manager qui félicite un collaborateur mais en s'y prenant vraiment mal). On monte des séquences digitales avec de vraies personnes afin de faire percevoir les émotions et le non-verbal dans la relation. En formation présentielle au contraire, on va mettre en œuvre des pratiques à succès. Durant ces journées, le manager va confronter ses représentations, ses compétences, avec celles de ses pairs. On ne va pas lui dire : " voilà, c'est ça que tu dois faire ". On l'aide d'abord à clarifier sa propre représentation du manager. Le manager restera lui-même, il s'appuiera sur ses points forts et les développera. Et on lui dira : " tu n'as pas besoin de faire tout ce qu'on te dit, tu prends ce qui est important pour toi ". Une " fiche mémo " est remise à chaque manager à l'issue du thème abordé en présentiel.

On a aussi injecté des moments d'intelligence collective dans ces formations inter-métiers. Il s'agit de moments de rencontre et de découverte, assez brefs car les contenus sont très intenses, mais aussi des moments d'introspection, des moments de débrief à deux voire, à certains moments des travaux à plusieurs sur un thème.

À l'issue de chaque journée présentielle, les managers s'engagent à travailler sur des actions. Des débriefing collectifs des actions mises en œuvre par les managers pendant les intersessions sont également organisés.

À la fin de la formation, le manager continue de recevoir une fois par mois pendant un an de nouvelles capsules qui visent à revoir des thèmes, à les approfondir et donc à travailler sur l' ancrage des compétences qu'il a développées pendant la formation. Durant cette période, il peut également accéder à une bibliothèque d'environ 200 vidéos.

Autour des dimensions socles du management ", qui constitue le niveau 1 de " Dimensions Manager ", obligatoire pour tous les nouveaux managers, on met en place des modules satellites, d'usage à la carte, comme, par exemple " Dimension Débats " : sur deux journées, le manager est formé pour organiser des échanges dans son équipe, demander à ses agents de travailler en équipe pour trouver des solutions.

Quelle est votre perception de l'apport des MOOCS en formation ?

Un MOOC ne doit jamais être perçu comme une finalité, mais comme une composante d'un enjeu pédagogique. Si le MOOC permet notamment d'unifier la formation dispensée à distance aux collaborateurs, il prend vraiment toute sa valeur ajoutée lorsqu'il devient source de questionnement, avec un usage en amont d'une séquence en présentiel, par exemple. Car dans le MOOC, au-delà du formateur-animateur, chaque participant apporte sa propre expertise. Le MOOC fait prendre conscience de la valeur de chaque apprenant, qui a déjà des bouts de solution, ou des bouts de questionnement.

Le MOOC est plutôt chez nous un programme de formation à la carte, qui peut venir en complément de nos programmes fondamentaux.

Exemples de réseaux apprenants et de produits issus de ces réseaux

Exemples de réseaux apprenants :

  • Activ'managers à l'Ingénierie
  • Alsace
  • Aquitaine
  • Fonctions supports dont Direction des Achats
  • Groupe apprenant Planification
  • Haute Normandie
  • Paris Est
  • Paris Saint-Lazare
  • TGV Est

Exemples de produits issus des réseaux apprenants :

  • Nouveaux services en gare
  • Gestion de flux en cas de situation perturbée
  • Modernisation du dialogue social
  • Amélioration de la ponctualité
  • Nouvelle signalétique
  • Simplification du process achat
  • Logiciel de suivi de maintenance
  • Réduction des incivilités

© Dunod Éditeur, décembre 2015

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Mots-clés : co-design, engagement, formation digitale, innovation, intelligence collective, leadership, management, MOOC, parties prenantes