Le travail à la chaîne dans les années soixante

Le travail à la chaîne dans une usine automobile pour une jeune femme.

« Des voitures passaient lentement et des hommes s’affairaient à l’intérieur… La chaîne dominait l’atelier. Nous étions dans son commencement ; elle finissait très loin de là, après avoir fait le tour de l’immense atelier. De l’autre côté de l’allée étaient les machines sur lesquelles travaillaient beaucoup d’hommes. Daubat me désigna une silhouette, la tête recouverte d’un béret, un masque protégeant les yeux, vêtue d’un treillis, tenant d’une main enveloppée de chiffons une sorte de pistolet à peinture dont il envoyait un jet sur de petites pièces. C’était Lucien. De ma place, à demi cachée par les voitures qui passaient, je regardai attentivement les hommes qui travaillaient dans cette partie-là. Certains badigeonnaient, d’autres tapaient sur des pièces qu’ils accrochaient ensuite à un filin. La pièce parvenait au suivant. C’était l’endroit le plus sale de l’atelier. Les hommes, vêtus de bleus tachés, avaient le visage barbouillé. Lucien ne me voyait pas. Daubat m’appela et je le rejoignis. Il me tendit une plaque de métal sur laquelle était posée un carton.

  • Je vous passe un crayon. Vous venez ?

II remonta vers le haut de la chaîne. Je le suivais comme une ombre, car je sentais beaucoup d’yeux posés sur moi et m’efforçais de ne fixer que des objets. Je m’appliquais aussi à poser convenablement mes pieds en biais sur les *lattes du banc. Il fallait grimper et descendre. Daubat prit mon bras et me fit 2j entrer dans une voiture.

  • Vous regardez ici.

Il me montrait le tableau de bord en tissu plastique.

  • S’il y a des défauts, vous les notez. Voyez ? Là, c’est mal tendu. Alors, vous écrivez. Et là ? Voyez.

II regardait les essuie-glaces.

  • Ils y sont. Ça va. Et le pare-soleil ? Aïe, déchiré ! Vous écrivez : pare-soleil déchiré. Ah ! mais il faut aller vite, regardez où nous sommes.

Il sauta de la voiture et me fit sauter avec lui. Nous étions loin de l’endroit où nous avions pris la voiture.

  • On ne pourra pas faire la suivante, dit-il, découragé. Je le dirai à Gilles, tant pis.Essayons celle-là. Nous recommençâmes. Il allait vite. Il disait « là et là »; « là un plis », « là manque un rétro », ou « rétro mal posé ». Je ne comprenais pas.

Pendant quelques minutes, je me réfugiai dans la pensée de ne pas revenir le lendemain. Je ne me voyais pas monter, descendre de la chaîne, entrer dans la voiture, voir tout en quelques minutes, écrire, sauter, courir à la suivante, monter, sauter, 4J voir, écrire.

  • Vous avez compris ? demanda Daubat.
  • Un peu.
  • C’est pas un peu qu’il faut, dit-il en secouant la tête. Moi, je ne comprends pas pourquoi ils font faire ça par des femmes.

Mais il faut que je voie Gilles. Si ça continue, ma prime va sauter. J’ai laissé passer trois voitures.

Nous montâmes plus haut sur la chaîne.

  • Là, c’est bon, dit Daubat.

Dans la voiture où nous étions, il y avait cinq hommes. L’un vissait, l’autre clouait un bourrelet autour de la portière, les autres rembourraient le tableau de bord.

  • Alors, dit Daubat, vous êtes en retard !
voiture Le travail à la chaîne dans les années soixante

Montage à la chaîne

Source

Claire Etcherelli

Elise ou la vraie vie

Ed. Denoël.