Existe-il un paradoxe du recrutement en temps de crise ? (1/2)

Pratiques RH - RecrutementDans les contextes de crise, les recrutements se font plus rares(*1). La décision de recruter se fait souvent après de multiples arbitrages sous la pression de contraintes budgétaires et à la lumière des perspectives envisagées dans le futur proche pour l’entreprise sur ses marchés.

Bien que l’ensemble des entreprises, même à des degrés divers, ait renforcé ses dispositifs de recrutement avec des techniques éprouvées, il apparaît que la chaîne des acteurs du recrutement : managers-recruteurs-consultants(*2), tend à privilégier un certain conformisme au moment de la sélection des candidats dans cette période de crise. Par conformisme, il faut entendre une volonté infra-consciente de réduire les risques dans la chaîne de valeur des acteurs du recrutement.

Dans un environnement budgétairement restrictif, un critère deviendrait dominant : l’absence presque absolue de prise de risques vis-à-vis des critères définis du poste, c’est-à-dire la préférence marquée pour une transposition directe, stricte et immédiate d’une expérience fonctionnelle, sectorielle, géographique, etc., du candidat en tous points identique et compatible.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer une telle montée du conformisme ?

Avancer une dimension infra-consciente signifierait qu’il y ait une incorporation par des acteurs distincts, placés à des étapes différentes de la chaîne de valeur, d’une norme commune partagée. Pour éviter le recours à une analyse psychologisante simpliste, il peut être avancé l’hypothèse que ce phénomène décrit un effet sociétal qui relie les différents acteurs[1].

Pour approcher ce réseau d’interdépendances entre les manageurs-recruteurs-consultants[2], il est nécessaire d’envisager trois types de rapports :
  1. celui des acteurs avec le processus de recrutement,
  2. celui des salariés avec leur entreprise respective à travers les systèmes de gratification et de positionnement,
  3. celui des individus avec le système éducatif français.

Un réseau d’interdépendances entre les acteurs

Le manageur, le recruteur et le consultant sont parties prenantes au résultat de la gestion du processus de recrutement. Chacun dépend de la qualité d’informations qu’il délivre aux deux autres. Le manageur livre son analyse de la fonction, du contexte du poste, de son organisation. Le recruteur fournit les éléments de réussite dans l’organisation : les valeurs, le contexte de l’entreprise, la stratégie. Le consultant partage sa connaissance du marché, de la fonction pour laquelle il va recruter, d’une typologie de candidats possibles.

Dans cette division des tâches, un objectif commun les lie qui est la réussite du recrutement, perçue comme un candidat s’intégrant parfaitement à l’organisation existante. En temps de crise, l’adjectif « parfaitement » constituerait ainsi une invitation pour chacun à ne prendre aucun risque. Rien dans cette division des tâches ne vient expliquer seule cette possible montée du conformisme.

Explorer le rapport des acteurs aux systèmes de positionnement et de gratification, en tant que salariés au sein de leurs organisations respectives, peut permettre d’esquisser quelques pistes d’explication. La réussite de la sélection et de l’intégration du candidat recouvre en effet des enjeux différents pour chacun des trois acteurs.

Les enjeux : un début d’explication ?

Pour le consultant, le rapport à son organisation est marqué par plusieurs faits. D’une part, le contexte actuel est caractérisé par une tension sur le chiffre d’affaires et la rentabilité de son entreprise[3]. D’autre part, gérant un portefeuille de plusieurs missions de recrutements avec ses clients, il fait en sorte de pouvoir générer une activité récurrente avec chacun. Perdre un client pour quelque motif que ce se soit, c’est perdre du chiffre d’affaires. La réussite de chaque mission en est la clé. Gérer son portefeuille de recrutements consiste à éviter toute source de ruptures potentielles dans la relation avec son client[4].

Pour le recruteur, tout d’abord, le flux réduit de recrutements crée une incertitude sur l’avenir de sa fonction. Un recruteur qui faisait face à une centaine de recrutements par an et voit son activité amputée des 2/3 y pense légitimement. Ensuite, dans un environnement budgétaire restrictif, le recours à un consultant, et le paiement d’honoraires, se justifie au regard de l’évaluation faite par le manager de l’intégration réussie du candidat sélectionné, condition nécessaire pour recourir à nouveau au même consultant ou à un autre consultant. Elle est, pour le recruteur, une condition nécessaire également pour maintenir une coopération positive avec le manager.

Pour le manageur, il s’agit avant tout d’assurer une continuité (remplacement) ou une extension (création de poste) du mode de fonctionnement au sein de son équipe. Un accord pour recruter obtenu dans un environnement de strict contrôle des dépenses est une pression à ne pas faire d’erreurs dans le choix du candidat.  Dans le fourmillement du quotidien, l’urgence pour un manageur de recruter un candidat, qui rapidement va permettre de maintenir à flot ses projets mais va aider aussi à la réalisation de ses objectifs, devient crucial. Enfin, il est jugé sur sa capacité à composer son équipe avec des membres qui se couleront rapidement dans l’environnement de l’organisation.

Dans cet entrelacs des enjeux, il y a comme la possibilité d’un jeu où la prise de risque ne serait pas de mise, renforcée par un rapport de chacun aux systèmes de gratification de sa propre organisation.

Consultez le deuxième volet de l’article : Existe-il un paradoxe du recrutement en temps de crise ? (2/2)

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Bibliographie