La disparition du CV, ou le grand malentendu...

© Tomb of the Unknowns, Arlington National Cemetery on Creative Commons

© Tomb of the Unknowns, Arlington National Cemetery on Creative Commons

A la recherche du titre  qui interpelle, les expressions « la mort du CV » et ses variantes «  la fin du CV » prolifèrent sur la toile auprès de la galaxie RH connectée. Bref, elles tournent en boucle. Derrière la provocation voulue de ces expressions, c’est plutôt la remise en cause d’un recrutement fondé sur des critères traditionnels qui est abordée. Mais au royaume du diplôme, de l’élitisme et des classements en tous genres (depuis les maternités jusqu’aux grandes écoles et universités), pas facile de s’éloigner d’un modèle qui, semble-t-il, a encore de beaux jours devant lui…

Sans CV et sans reproche

Pourtant, les expériences de recrutement (plus ou moins) sans CV existent déjà depuis longtemps. Mais leur généralisation se fait attendre.  Honneur aux institutionnels de l’emploi (souvent décriés) comme pôle emploi (alors ANPE) et la MRS, Méthode de Recrutement par Simulation initiée dès 2005 avec les plateformes de vocation (Bon, avec des noms pareils, c’est sûr que ça n’allait pas cartonner tout de suite). Idem côté marché cadres pour l’Apec et ses opérations « Recruter sans CV » depuis 2008.

Plus récemment, d’autres initiatives, privées, se sont lancées : Qapa.fr (juillet 2011),  le site qui permet de chercher un emploi "sans CV ni lettre de motivation" (ou presque). Dès l’accueil, on propose en effet aux recruteurs de rechercher des CV et aux candidats d’importer leur CV ;-) Remarquez, c’est la même chose sur cafecontactemploi.fr (novembre 2006, un précurseur !) alors que le principe consiste d’abord à susciter des rencontres informelles entre candidats et recruteurs dans des lieux publics comme les cafés, voire les TGV. A contrario, pas un mot sur le CV sur scoring-line.com (mai 2014). Suffisamment rare pour être souligné !

Toutes ces initiatives, il doit en exister bien d’autres, plaident en faveur d’un recrutement basé sur les compétences et les aptitudes plus que sur les diplômes bien que tous reconnaissent que le CV restera, mais qu’il évoluera probablement... Reste à savoir à quoi ressemblera le futur du recrutement.  

Le CV, outil social (media) ?...

Selon une étude du cabinet Robert Half  auprès de 1.500 recruteurs de huit pays européens, seul un petit quart des interrogés déclarent consacrer plus de 10 minutes à la lecture d’une candidature. Mouais… Si je calcule bien, ça fait à peine du 50 CV/ jour. Pas sûr que les défenseurs du ROI apprécient.;-)

Pas sûr non plus, du coup, que le « social CV », présenté comme le bourreau du CV traditionnel, soit un atout majeur pour convaincre un recruteur tant il semble plus complet (et donc, encore plus long à lire…). On a d’abord les social coordonnées, puis les social expériences avant les social compétences, validées, ça se discute,  par de social recommandations. Viennent ensuite la social formation, les social infos supplémentaires pour ne pas dire social divers ou social hobbies, plus plein d’autres social liens et social intérêts…  Le tout agrémenté, pour les plus audacieux, de quelques présentations PPT, logos, liens, vidéos ou travaux personnels et professionnels. Bref, une journée par CV ne sera pas du luxe !

Cette social révolution du CV qui vous met entièrement en ligne, consultable par tous et à toute heure a probablement échappé à nos édiles car le Conseil d'Etat vient  de donner 6 mois au Premier Ministre pour publier les décrets d'applications de la loi concernant le CV anonyme, votée en 2006. Il semble souhaitable (et urgent) d’envoyer nos conseillers à la recherche d’un emploi en 2014, voire de découvrir un outil promis à un bel avenir : internet !!

Le CV version originale…

« La semaine dernière, j’ai reçu 3 slips, 2 culottes, 1 tablette de chocolat, 7 vidéos, 1 site internet, 2 jeux vidéos, 1 pack de bières, 3 cocottes en papier et 4 blogs pour le poste de contrôleur de gestion… ». La course au CV original fait rage. Pas sûr que les recruteurs ne regrettent pas, parfois, le CV originel tant le meilleur (l’originalité pertinente avec le poste proposé et l’entreprise concernée) côtoie parfois le pire (l’originalité pour l’originalité en espérant un peu naïvement que l’originalité soit une compétence hautement valorisée pour le poste proposé…). Quant à l’originalité, elle est bien plus souvent formelle que fondamentale. Découvrir les compétences d’un candidat sur un slip, voilà ce que l’on appelle se mettre à nu devant un recruteur ?  

Bref, le CV original (le vrai de vrai en word ou pdf ;)  n’a pas dit son dernier mot. Et il est un acteur de la relation candidat-recruteur, la base de données de CV, qui n’est pas mécontent. A-t-on déjà fait rentrer un slip dans un formulaire ? Je sais bien que les objets connectés débarquent mais je ne suis pas convaincu que les ATS (les outils pour gérer les bases de données de CV)  y soient pleinement préparés. Et puis, un monde de l’emploi sans CV entrainerait également la disparition de tout un pan de l’économie : quid des milliers de sites, de blogs, d’ouvrages et de consultants prodiguant mille et un conseils pour bien rédiger son CV ? Seraient-ils obligés, à leur tour, de mettre enfin leurs conseils en pratique pour cause de recherche d’emploi ?  Un comble !

Non. Rassurons-nous. Le CV n’est pas mort. A moins que le Big Data... Mais c’est une autre histoire. D’ailleurs, à propos d’histoire, et pour nous rassurer complètement, je vous conseille la lecture du bouquin de Jean-Louis Fournier, « Le CV de Dieu » : après avoir tout créé, Dieu s’ennuie et décide alors de postuler dans une grande entreprise pour trouver un travail. Et devinez quoi ? Il commence par rédiger son CV. Alors, rassurés ?