De la relation maître-élève : pour une transposée dans l’entreprise ? Le manager au cœur d’un système apprenant, structurant, inspirant.

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de gauche à droite : Jean-Roch Houillier, Stéphane Fassetta, David Butler

Intention

engagement des collaborateurs3Deux cadres supérieurs, Jean-Roch Houllier et Stéphane Fassetta, managers dans un grand groupe, témoignent de leur expérience de la relation Maître-Elève et proposent de la transposer en entreprise au travers de la relation Manager-Collaborateur. Ils ont eu le privilège de rencontrer leur maître respectif il y a maintenant vingt ans, l’un dans le domaine des arts martiaux, l’autre dans le domaine des sciences.

Le manager peut-il parfois incarner le « maître » et le collaborateur « l’élève » ? Sont-ils unis momentanément dans un espace-temps de savoir, savoir-faire et savoir-être, en se forgeant posture et identité professionnelle ?

Une carrière professionnelle se construit et s’enrichit avec les années passées au sein de l’entreprise,  au gré des changements de poste, d’organisation ou de contexte. De même, dans le domaine du sport ou des sciences,  on est amené à croiser des personnalités marquantes qui nous inspirent, nous servent de modèle, nous font grandir…

A propos du  « maître » et de « l’élève »

Parler d’élève ou de maître peut paraître surgir d’un autre temps mais, bien au contraire, il y a là un réel gisement d’enseignements à tirer de cette relation.

« Parce qu’autrui n’est pas un moyen mais une fin, la relation maître-élève ne saurait se confondre avec la relation maître-esclave et se situer dans un rapport dominant-dominé. Le maître est en définitive celui qui sait assumer sa qualité d’homme, déchirement entre infinitude et finitude, entre absoluité et relativité, par la maîtrise et la transmission. Ce n’est qu’à cette condition qu’il échappe au temps et à la contingence. La valeur de l’homme est fondamentalement transcendante » (Dan Arbib, 2000).

Le maître apparaît donc au sens japonais du terme, ou « Senseï », celui qui est né avant, qui a parcouru un chemin (« Do »), qui a de l’expérience et qui peut donc transmettre. L’élève, pour sa part, emprunte à son tour le chemin, confiant car guidé par son aîné tout au long du parcours. La voie peut être plus ou moins longue mais reste pleine d’enseignements qui construisent au fur et à mesure la maturité et l’expérience de l’élève.

La reconnaissance du maître est importante à quelques moments clés de la relation, à l’image de « lanternes » déposées à l’intersection de plusieurs chemins possibles et qui renforcent la puissance du moteur d’apprentissage. La composante émotionnelle est présente entre le maître et l’élève, mais ne doit pas être disproportionnée, afin d’assurer une progression harmonieuse.

Ainsi, la relation maître-élève s’ancre dans la durée, dans l’épaisseur d’un moment commun et partagé. Une forme « d’intérité » dirait peut-être Rémi Hess, s’enracinant dans un vivre ensemble, un « morceau de transversalité partagée ».

Selon nous, elle ne se décrète pas, elle est en premier lieu une histoire d’attraction réciproque non préméditée. Une histoire de rôles et de postures naturellement « consenties » et interdépendantes, en aucun cas une relation de pure soumission ou de dépendance.

Du maître émane une forme d’autorité naturelle. Il représente l’aboutissement d’un savoir, savoir-faire et savoir-être, mis à disposition de l’élève, qui le « digère » à son rythme. Le visage du maître revêt donc plusieurs facettes, traduites par son leadership, sa posture, son attitude, ses mots ou encore ses actions. Charge à l’élève d’en décoder toutes les composantes.

Pour autant, même si le « maître » incarne le « sachant », la figure d’autorité en apparence, son propre savoir, sa propre posture s’enrichissent de ce que l’élève lui renvoie dans le quotidien de la relation. Chacun trouve dans l’autre ce qui momentanément contribue à construire son propre chemin identitaire. Une relation d’une grande richesse teintée de respect et de confiance.

Chaque relation est unique, évolue, se développe avec le temps ; l’élève, dans sa soif d’apprendre, puise au moment opportun chez le maître ce qui raisonne en lui et contribue à le faire grandir. De même fait le « maître », dont la curiosité est tout aussi affutée ! Un « apprendre » de tous les instants ancré dans une quête commune de « grandir ensemble ».

En ce sens, la relation est protéiforme, empruntant à d’autres formes de relations plus formalisées, limitées dans le temps, parfois prescrites comme celle du « mentor et du mentoré », du « tuteur et du tutoré » ou encore du « coach et du coaché ».

Le « bon maître » saura laisser les singularités de son « élève » s’exprimer, se développer dans l’idée-force d’un éloignement programmé. Avec le temps, « l’élève » poursuivra son chemin et la figure du « maître » s’estompera au fur et à mesure de son individuation.

Pour autant, même lorsque le moment de la relation se refermera, tel un « sémaphore », le « maître » s’intériorisera dans son élève, désormais partie intégrante de son propre registre identitaire.

Et dans l’entreprise?

L’entreprise est un réseau complexe d’organisations, d’individus et de relations au sein duquel chacun est appelé à parcourir son chemin de vie professionnelle, son « Do », enrichi au gré des expériences du quotidien, des rencontres et des temps forts d’une carrière aux multiples facettes.

Chemin faisant, nous nous adaptons à chaque instant. Nous apprenons perpétuellement afin de progresser et de grandir au milieu des autres, dans un monde où domine « le temps court », une forme « d’instantanéité » peu propice à la prise de recul dans la relation avec soi-même et avec les autres.  Piégés par ce « temps court », les individus peuvent alors s’enfermer dans le continuum d’un quotidien devenu stérile, où quête de sens et relief existentiel ont disparu au profit d’une forme de stagnation, voire de régression.

Nous avons acquis la conviction qu’une ou plusieurs rencontres au cours d’une carrière professionnelle peuvent alors se révéler déterminantes dans ce principe de mise en perspective de l’expérience du quotidien. Elles sont à la source d’un « apprendre » doublé d’une forte motivation à faire de tous les instants.

Cette rencontre, ce peut être celle d’un collaborateur et de son manager, réunis le temps d’un moment commun de vie professionnelle et empruntant aux attributs de la relation maître-élève dans un grandir ensemble partagé. Sur ce « plateau commun d’apprentissage », chacun grandit dans le miroir de l’autre, développe lucidité avec lui-même et avec les autres. Un apprentissage de tous les instants sur le « terrain », qui fait écho avec les différentes dimensions de la formation et tout particulièrement ses piliers expérientiel et social, en opposition au pilier plus traditionnel de l’éducation académique et formalisée.

Dans nos propres rencontres, ces managers qui marquèrent nos carrières ont en premier lieu fait figure de guides, de modèles,  de leaders, en quelque sorte porteurs d’une vision, d’une forme d’exemplarité, d’un savoir, savoir-faire et savoir-être les situant au cœur d’un système apprenant, structurant, inspirant. Authenticité et constance les caractérisaient. Fondée sur un respect et une confiance réciproques, une relation pouvait alors se mettre en place entre le manager, incarnant momentanément la figure du « maître », et son collaborateur, incarnant celle de « l’élève », tous deux placés dans une quête d’apprendre et de grandir.

En cela le manager peut incarner le maître lorsque, « sachant » et « facilitateur » dans son manteau de « coach », il aide l’autre, croyant « en son être en devenir », à se développer, à progresser, à tirer parti de ses erreurs. La relation se veut plurielle, colorée par les diverses facettes et styles multiples d’un manager qui  « donne à apprendre » chaque jour à son collaborateur-élève. Dans le même temps, en s’ouvrant à l’autre, le manager en devient l’élève lorsque, à son tour, il apprend et s’enrichit de son collaborateur. Ce  moment partagé est propice à développer chez chacun un relief existentiel, à donner une épaisseur et une densité au quotidien professionnel

Dans cette confrontation quotidienne, le collaborateur-élève forge sa propre identité professionnelle, au carrefour de sa propre personnalité et de traits hérités de son manager. Il devient lui-même, procède à sa propre individuation, développe sa lucidité en termes de forces et de faiblesses, gagne en confiance. Une « clé » émerge au travers d’une « Crédibilité » (suis-je crédible ?), « Légitimité » (suis-je légitime ?), « Envie » (ai-je capacité à donner envie de faire avec moi ?) construites dans le quotidien des expériences et des partages.

Devenu autonome, appelé à de nouvelles fonctions dans l’entreprise, le collaborateur, dans une volonté d’émancipation, continuera à suivre son chemin et s’éloignera de celui ou celle qui fut son manager et marqua sa carrière dans cette relation d’exception. Pour autant, bien que refermé, ce moment, intériorisé, restera ancré et continuera à inspirer chaque jour ce collaborateur qui un jour, à son tour, devenu lui-même manager, incarnera peut-être cette figure inspirante et propice au « faire grandir ».

En guise de conclusion…

Ainsi, chaque collaborateur, au sein de l’entreprise,  cherche à grandir, à se développer dans son domaine. N’y aurait-il pas alors une forme de quête à trouver ses « phares », « figures » d’un moment capables de nous inspirer, de nous faire grandir, de nous aider à nous développer dans le respect de nos singularités ?

De telles relations contribuent au développement d’un « réseau apprenant » aux multiples ramifications, au développement d’une culture commune et, plus largement, à une meilleure performance. Elles « soudent » les hommes et donnent sens et relief à leur quotidien. Elles peuvent aussi sans aucun doute contribuer à combler le fossé intergénérationnel.

Une « posture », une attitude en quelque sorte, celle d’un « apprendre » partagé et réciproque, que l’entreprise a tout intérêt à développer.

Bibliographie succincte

ARBIB DAN, (2000), Qu’est-ce qu’un maître ?, 1er prix de dissertation philosophique, 2000, concours général.

GOLEMAN, D., (2002), Impact et efficacité des différents styles de leadership, in styles de leaders, Editions d’Organisation, coll. Harvard Business review, 264 p.

HOULLIER, J-R., (2008), Le facteur humain et l’interculturalité dans les projets offshore : clés de lecture et de succès, Etude réalisée au sein du groupe Alcatel-Lucent. Thèse professionnelle de mastère spécialisé, Management de Grands Projets, HEC & SUPAERO, Jouy-en-Josas, 245 p. et annexes.

DURKHEIM K.G., (1980), Le Maître intérieur, Le Courrier du Livre.

TAMURA N., Etiquette et transmission, Budo Editions (2003).

KLIBANSKY R. et al. (1998), La relation maître-élève, émission de télévision canadienne.

Biographies des auteurs

Jean-Roch Houllier, PMP, IPMA Level B certified, MGP, SSCBB, FFP, Executive Coach Certified HEC Paris 

Diplômé d’HEC Paris et de SUPAERO (ISAE), Jean-Roch Houllier est actuellement directeur pédagogique international de Thales Université, l’université du Groupe Thales. Pendant environ une quinzaine d’années, il a été amené à piloter des projets à dimension internationale. Par ailleurs, Jean-Roch Houllier est le directeur du développement académique pour le PMI-France.

Stéphane Fassetta, PhD Sciences, Prof. d’Aïkido DE 4ie dan, Coach mental Certifié Sup De Coach Sport

Diplômé de l’université de Paris XI/ENSTA Paris, Stéphane Fassetta est responsable pédagogique de formations en management de projet, et intervient sur des formations de Management/Leadership à Thales Université. Il est également consultant/formateur de l’approche Lead Aptitudes pour HEC Paris, ESCP EUROPE, Université d’Evry.


David Butler

David BUTLER, Américain vivant en France, Directeur de la Practice « Leadership » à Thales Université depuis 2009. Il est en charge de l’organisation de tous les programmes de Leadership au sein du groupe. Il est aussi chargé de cours à HEC Paris.

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© Dunod Éditeur, décembre 2014

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