Témoignage n°1

Voici un premier témoignage que nous avons reçu. Je remercie cette personne de nous faire part de ce qu'elle a vécu, n'hésitez pas à réagir et laisser des commentaires si vous le souhaitez. Je me suis permise de mettre quelques phrases en gras. Des phrases, des mots, qui je pense sont familiers à beaucoup d'entre nous et qui montrent certaines conséquences (pour ne pas dire souffrances) engendrées par notre manque de formation.
Encore merci pour ce témoignage. Si je peux me permettre de te dire une chose : la première année est souvent un calvaire pour beaucoup de stagiaires, cela se calme avec le temps. Ce que je pourrais conseiller aux PES à bout de souffle est de ne pas perdre espoir et d'essayer de tenir au moins jusqu'au jour de la titularisation (cela vous ouvrira en plus plus de droits si vous souhaitez prendre le large par la suite il me semble). Prenez le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre, demandez vous bien pourquoi vous avez voulu exercer ce métier et n'hésitez pas à vous mettre en arrêt si vous en avez besoin (si besoin de conseils/infos vous pouvez m'écrire car je suis devenue (malheureusement) une vraie pro des arrêts) et SURTOUT ne vous mettez pas en danger. Ce n'est qu'un boulot. Courage à tous.

Salut Kitty ! je suis tombée sur ton site hier en effectuant des recherches sur le burn out et le métier de prof des écoles. Je dois t'avouer que vous lire, toi et Sammy, m'a permis de prendre conscience que je n'étais pas seule.
Je te propose le témoignage suivant, à toi de voir si tu l'incluras ou non dans ton blog. Il est très long, en même temps, j'avais beaucoup de choses à partager. Bon courage pour la suite.

"Au lycée, je montais à cheval, et plus particulièrement avec le Génie (armée). Mon établissement avait un partenariat avec ce dernier, ce qui nous permettait de profiter des prestations de l'armée pour un prix modique. Je me souviens parfaitement de mon moniteur d'équitation : un homme de 35/40 ans, particulièrement autoritaire et sec, comme peuvent l'être les militaires. A cette époque là, je traversais une phase très "hippie", "make love not war". Autant vous dire que mes relations avec cette personne pouvaient être assez "électriques". Il m'a pourtant avoué que je lui ressemblais énormément, qu'il était "comme moi" dans sa jeunesse. Mais que pour travailler dans le monde du cheval, il n'avait pas eu d'autre choix que d'intégrer l'armée. Il avait ensuite prononcé ces paroles : "J'ai beaucoup changé. C'est simple, quand tu rentres dans l'armée, on te casse, on casse ta personnalité, ton moral. Et une fois que t'es brisé, on prend les morceaux pour reconstruire un nouveau toi, qui répondra aux exigences de l'armée."
Après avoir entendu cela, je m'étais promis de ne jamais renier ma personnalité pour un travail, de ne jamais m'oublier, ni d'oublier mes convictions pour mon employeur. Vous voyez où je veux en venir?


Je suis rentrée à l'ESPE l'an passé, pleine d'énergie et de confiance en moi. J'avais 25 ans, pas mal d'expériences professionnelles dans des domaines TRES variés et surtout je revenais tout juste d'un an de voyage en Amérique (nord et sud). Bref je me sentais forte et sûre de moi.
L'année a commencé. J'ai apprécié aller en cours et rencontrer de nouvelles personnes. Je trouvais mes formateurs sympas et plutôt intéressants. Cependant au bout de quelques mois (Toussaint), la pression a commencé à monter. Je me suis rendue compte de la montagne que je devais gravir pour acquérir ce fichu concours. Moi qui sortais de bac techno, de BTS et licence pro, c'était extrêmement difficile de se remettre aux maths et au français après 7 ans d'interruption. Mais je m'y suis mise. J'ai bossé d'arrache pied, les soirs et les week-ends.
Et puis, les cours à l'ESPE ont aussi commencé à devenir pesants : en plus des préparations au concours nous devions rendre des écrits pratiquement chaque semaine. Mais j'ai tenu le choc. Enfin, la surcharge cognitive était telle que je n'avais franchement plus le temps de penser à autre chose que mon travail. C'est à ce moment que j'ai commencé à perdre confiance en moi, je me comparais constamment aux autres qui avaient fait de grandes études et qui y arrivaient beaucoup mieux que moi (esprit concours...). Les remarques de mes professeurs, qui remettaient constamment mon travail en cause, ont commencé à m'atteindre personnellement. Tiens ça me rappelle l'histoire de mon moniteur d'équitation. Le moment où l'on te casse, où tu croule sous le travail que tu t'oublie toi même. Et finalement, au grand étonnement de tous (et de moi même) j'ai obtenu le saint Graal, ainsi que mon Master 1 mention bien.

J'étais heureuse, mais ici ont commencé les premières interrogations : est ce pour moi? Est ce que je suis faite pour ce métier? Vais-je être capable? Elles ne m'ont pas quitté de l'été.
Arrivée mi aout je commence à vraiment m'inquiéter : la titulaire de la classe dans laquelle je vais être ne donne aucun signe de vie.
Et puis la prérentrée arrive, je découvre ma classe et mes collègues. Je suis angoissée, je commence dans trois jours, toute seule, face à 25 élèves et je n'ai encore rien de vraiment prêt. Et d'ailleurs que préparer? Que dois-je faire cette première journée? A part montrer que j'ai de l'autorité? Je cherche des réponses auprès de mes collègues qui me font gentiment comprendre qu'elles (oui il n'y a que des femmes...) sont très occupées et que ce n'est pas leur taf. Alors je reste seule dans ma classe, à plastifier mes étiquettes de prénoms sans vraiment comprendre à quoi cela va servir. Je suis littéralement pommée. Une voix hurle dans ma tête de me barrer, que ce métier n'est pas fait pour moi, que je n'ai rien à faire ici. Je décide de l'ignorer et de rentrer chez moi, en pleurs.
Les trois jours avant la rentrée, je ne mange plus, je ne dors plus, je vomis à chaque fois que je pense à l'école (donc je vomis beaucoup). J'angoisse comme je n'ai jamais angoissé. Ma confiance en moi est au niveau zéro. J'hésite sur tout, sur les mots que je vais dire à mes élèves, le cahier sur lequel ils vont écrire (mais bon dieu concrètement ça sert à quoi un cahier du jour ! On ne me l'a jamais expliqué à l'ESPE), ma position face à eux.
J'ai l'impression de n'avoir plus aucune prise sur moi-même. Mes angoisses sont très fortes et violentes.
Dans un dernier espoir, je contacte ma PEMF la veille de la rentrée en lui envoyant mes fiches de prep et mon cahier journal. J'ai la réponse deux bonnes heures après : " Ce que tu proposes est trop simple. Bon courage pour demain. Cordialement ". Voilà comment remettre en question une trentaine d'heures de travail, au bas mot. Il est 21heures, et je ne sais plus quoi faire. Finalement mon conjoint me force à aller me coucher et m'explique que ce n'est pas la mort si c'est trop simple.
La nuit est mouvementée, comme je ne dors pas je prends un petit cachet magique. Il ne fait aucun effet, à part me donner une énorme migraine et les jambes lourdes. Je ferme les yeux vers 3h30 pour les rouvrir à 6 heures. La nuit a été courte.
Le matin, impossible de manger, ne même d'avaler mon café. Je vomis, encore. L'angoisse est tellement forte. J'arrive à l'école. On m'ouvre. Certains de mes collègues me souhaitent bonne chance et me prodiguent leurs derniers conseils (vous savez du genre pas déstressant pour un sous " c'est aujourd'hui que tu joues tout. Montre leur que c'est toi le chef, vaut mieux, sinon tu te feras bouffer "non mais wtf !! Moi on ne m'a pas expliqué ce que je devais faire CONCRETEMENT !!)
Je vais chercher mes élèves dans la cour à 9 heures. Je suis tellement stressée. Ma vue est trouble. A quel moment dois-je les emmener en classe ? Je dois partir après quelle collègue déjà ? A moins que ça soit moi qui ouvre la marche pour rentrer dans l'école ? Ca y est on rentre en classe. En écrivant ces mots, je me rends compte que mes souvenirs sont flous, très flous.
Je commence mes leçons trop simples. Elles le sont, c'est vrai. En 20 minutes, ils ont fait ce que j'avais prévu pour 1h30. Bon bah, voilà...
La première journée se termine. Je suis en pleurs, seule dans ma classe. Mais je ne le montre pas aux collègues, qui d'ailleurs ne font pas l'effort de savoir comment je vais. Il y a une ATSEM qui vient me voir et demander de mes nouvelles. C'est tout. Je suis seule.
Je rentre chez moi. Je pleurs tout le long de la route. D'énormes sanglots. En rentrant, je découvre que mon conjoint à inviter des amis, pour fêter cette première rentrée. Je lui explique que je ne peux pas rester et que je dois travailler. Je m'enferme dans mon bureau en pleurs. Encore. Et puis ma mère m'appelle. Je suis en sanglots. Je lui dis que je n'ai rien pour demain. Rien de rien. Que je suis épuisée, que je déteste ce métier, que je veux tout arrêter. Elle me console et me propose de me mettre en arrêt. Je finis par accepter cette idée. Je serai donc la seule prof capable de se prendre un arrêt pour " trouble axio dépressifs liés au travail " après une seule journée de boulot. LOL.
Me voilà en arrêt pour une semaine et demi (et oui je ne fais pas les choses à moitié...). Je profite de ce temps pour peaufiner mes prep et reprendre confiance en moi. Ça marche plutôt bien.
Je retourne à l'école. Franchement, j'apprécie cette nouvelle journée avec mes élèves. Ils sont gentils, un peu bavards.
A l'espé, le rythme s'intensifie : nous avons cours la moitié de la semaine entre 6 et 8 heures par jour. Souvent, quand nous avons classe le mercredi matin, nous devons revenir à l'ESPE l'après midi de 14h à 18h. A ces heures de présentielles à l'ESPE s'ajoute une charge de travail considérable de travail : pratiquement chacun de nos formateurs nous demandent un écrit (à chaque fois 5/10 pages) sur la mise en place de séances et de séquences FICTIVES (je dis bien fictive car irréalisables pour des PES).
En résumé : nous devons préparer notre classe seuls, sans aide de nos formateurs et de nos tuteurs, pour chaque journée à préparer, comptons AU MOINS une dizaine d'heures de préparation, plus 1h30 de correction par jour (je suis en cycle 3), et une heure de préparation matérielle (photocopies, découpages...). Nous devons assister au cours à l'ESPE, c'est-à-dire au minimum 18heures dans la semaine. Nous devons faire la classe à nos élèves, 10 à 13 heures par semaine. Et pour finir, nous devons faire les APC (30 minutes par semaines), participer aux diverses réunions de l'école (30 minutes aussi dans la semaine) ET participer aux formations pédagogiques (18h par an), oui oui en plus de notre formation à l'espé, il faut qu'on se forme en formation péda...


Aller, on fait le compte :
ESPé : 18 à 24h : prenons 20.
Prep : 24 à 34 heures. Prenons 29.
Nous sommes déjà à 49heures Alors que nous n'avons pas encore commencer à être en classe.
L'école : 10 à 13 heures. Prenons 11. 60 heures
Les réunions en tout genre : 61 heures.
Aller à cela on rajoute cinq heures de travail personnel pour l'ESPE.
Nous arrivons à 66 heures MINIMUM par semaine.
J'ai compté des semaines où je suis arrivée à 80. Oui sans rire.


Autant vous dire que nous étions tous dans un état désespérant. En plus de cela, à chaque fois que nous nous plaignions de quoi que ce soit, on se faisant rembarrer royalement par nos formateurs. Je me rappellerais toujours de la fois où le directeur de l'ESPE avait répondu à notre demande d'allégement de l'emploi du temps de la manière suivante " Vous savez l'éducation nationale, ça secoue, si vous n'êtes pas prêt, vaut mieux partir. ". Vous avez dit bienveillance ? mmhh...
Je ne sais pas par quel miracle, nous avons tous tenu jusqu'à Noël. A ce moment, je me sentais comme lobotomisée, incapable de réfléchir à autre chose qu'à l'école, ma classe, mes élèves. Je ne vivais que par ça. Je passais mes vacances à préparer ma prochaine période. Et tout cela en essayant de me convaincre que j'aimais ce travail. A ce jour, mon estime de moi-même était très basse. Je me sentais consentement nulle et personne n'était là pour m'affirmer le contraire.
J'ai fait quelques petites rechutes, à cause de la pression. J'ai continué à aussi faire des insomnies. Alors, pour palier à cela, j'ai commencé à prendre des anti dépresseurs et des anxiolytiques. Je m'étais toujours jurer de ne jamais tomber la dedans (mes parents en ont pris des années et ont eu de grosse difficultés à décrocher de ces merdes).
Pendant plusieurs mois, je me suis donné à fond. Ne comptant plus mes heures, me convaincant que j'aimais cela et que ça allait mieux. Cependant, l'angoisse du premier jour ne m'a jamais quitté. Les jours passaient, plus ça allait et moins je ne me reconnaissais. Je devenais une personne renfermée sur elle-même alors que j'ai toujours été très sociable. Je n'avais plus le gout de sortir, alors que je suis une bonne fêtarde. Et surtout, je n'avais plus goût à la vie, plus de petits bonheurs, de joie, que du boulot, du boulot, du boulot. Je n'ai jamais été ainsi. Je me suis toujours battue pour " être heureuse ". Comme je l'ai dit plus haut, mes parents sont des dépressifs qui ont beaucoup de mal à s'en sortir. Je me suis toujours promis à moi-même de ne jamais devenir comme cela.
Je n'arrivais plus à me regarder dans la glace. Je n'y voyais que le fantôme de moi-même, une fille triste à mourir, pâle et malade. J'évitais de trop penser à autre chose que le travail. Sinon, je sombrais. A ce moment, j'ai retrouvé l'un de mes vieux amis. Il avait littéralement changé de voie suite à la rencontre d'un chaman au Mexique. Il voulait devenir prof de yoga. Je lui ai parlé de mes angoisses et je lui ai dit que je ne savais pas vraiment si je voulais réellement être prof. Il m'a répondu la chose suivante " Tu as tort, au fond de toi tu le sais très bien ".
Oui je le savais, mais je ne voulais pas me l'avouer. Alors j'ai continué à tirer sur la corde. Et ça a craqué. La semaine dernière une première fois. J'ai pleurée un week end entier. Impossible de réfléchir convenablement. J'ai eu des idées noires, vraiment trop noires. Je prenais conscience de ce que j'étais devenue et je m'haïssais.
Je suis retournée au travail le mardi suivant pour un ultime effort : accompagner mes élèves en classe découverte jusqu'à vendredi, promise depuis septembre. J'ai pris sur moi mais ça a été terrible. Je ne supportais plus les enfants, leurs cris, leur immaturité. Je n'était plus du tout bienveillante à leur égard.
Et puis vendredi soir, quand je suis rentrée, je me suis effondrée. Épuisée, lessivée. Le samedi j'ai eu beaucoup de mal à me lever. Je n'avais plus de force. Le dimanche c'était encore pire. Le moindre mouvement me demandait un effort surhumain. Enfin, aujourd'hui ce n'est pas mieux. J'ai mal dormi, j'ai mal partout, je n'ai plus de force. Je passe mon temps à fondre en larmes. Alors j'ai décidé que je ne retournerais pas à l'école cette semaine. Que je suis trop épuisée. Que pour ma sécurité mais aussi celle des élèves, je ne viendrais pas. J'ai trop tiré, la corde s'est brisée.
Alors, comme vous tous qui vivez cela, je culpabilise. Je culpabilise envers mon conjoint, qui se sent démuni face à mon désarroi. Je culpabilise face à mes parents, qui ont été si fières de moi lorsque je suis devenue professeur. Envers mes élèves, qui n'auront plus de maîtresse et surement pas de remplaçant cette semaine. Envers mes collègues, qui devront assumer mon absence. Envers les parents, qui s'inquiètent pour leurs enfants. Envers mes collègues de promo, qui elles (oui encore que des nanas) y arrivent très bien et sont fortes alors que moi je suis faible.
Mais je n'ai plus le choix. J'ai peur de ce que je pourrais devenir si je continue.

Et puis je réfléchi : je me suis sentie faible toute cette année, et personne dans mon entourage professionnel ne m'a affirmé le contraire. Cependant, mon conjoint m'a ouvert les yeux en me rappelant qui j'étais réellement.
Il y a quatre ans, j'ai été éduc avec des adultes handicapés mentaux et/ou psychique. J'ai du gérer des situations de violence extrême (agression physique, avec un couteau, une chaise, une aiguille à tricoter...). Pourtant j'ai tenu le choc sans trop de soucis.
Y'a trois ans je me suis envolée pour l'Amérique. J'ai traversé une partié du continent en levant le pouce, je ne savais jamais où j'allais dormir le soir. J'ai vécu 4 mois sous une tente. J'ai appris l'espagnol et l'anglais sur le tas car je n'avais pas le choix pour me débrouiller. Mais j'ai tenu.
Y'a deux ans, j'ai travaillé comme serveuse pendant 8 mois, dont trois sept jours sur sept, 10 heures par jour. Pour me payer mes études. Oui je me suis fait exploiter à servir des poivrots parfois jusqu'à 4heures du mat pour un salaire de misère. Mais j'ai tenu.
Y'a un an j'ai repris mes études à la fac alors que je sortais d'un cursus pro. Je me suis battue pour obtenir ce concours et je l'ai eu. J'ai dû faire face en même temps à la dépression d'une personne qui m'est très chère et que j'ai du relever à bout de bras. Mais j'ai tenu.
Alors non, je ne suis pas faible. Et vous n'êtes pas faible non plus. Souvenez vous de l'histoire du militaire. Ici, c'est pareil. On nous casse, on nous façonne pour n'être plus finalement que de simple pions à déplacer sur un plateau. On nous fait avaler des couleuvres au nom de la citoyenneté, de l'éthique du fonctionnaire. J'ai eu toutes sortes d'employeurs ces dernières années, plus ou moins bienveillants, plus ou moins respectueux, plus ou moins dans la légalité...Mais, y'a pas à tergiverser des heures, l'EN est le pire que j'ai pu rencontrer.
Ma décision est prise, dans quelques mois je quitterais cette marâtre qu'est l'éducation nationale pour recommencer à vivre sans angoisses et surtout heureuse. "