Second principe : vis sans objectif

aimArticle d’origine publié le 14/09/13 sur mon blog jechoisismavie.com

On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va. Christophe Colomb (il y a fort longtemps).

Je vais aller contre une idée reçue ou une croyance, appelez-la comme vous voulez, je l’appelle pour ma part une illusion. Elle est socialement inattaquable, autrement dit, vous passerez pour un fou si vous avez le malheur de la remettre en question. Elle nous enseigne que "dans la vie, il faut se donner et viser un objectif". Très tôt, ne demande-t-on pas au petit enfant "qu’est-ce que tu veux faire plus tard" ? A l’ado de 15 ans, ne dit-on pas "c’est important de savoir ce qu’on veut faire dans la vie" ?  Aux adultes en peine, ne conseille-t-on pas de "se fixer des objectifs de vie" ? Naturellement, l’enfant, lui, vit dans le présent et ne se soucie guère de projets ou objectifs de vie, mais très vite on lui impose de se projeter dans l’avenir. On me répondra peut-être, mais il faut bien qu’ils puissent gagner leur vie ces jeunots, regardez tous ceux qui sont perdus dans des filières sans avenir ! Mais ils sont surtout perdus car on leur rappelle constamment que sans objectif de vie déterminé, ils iront droit dans le mur.

Alors, au-delà des soi-disant considérations pratico-pratiques et d’efficacité du monde, pourquoi sommes-nous tellement accrochés à cette obligation de définir un objectif ? Je vais peut-être vous surprendre, mais parlons de l’angoisse de mort, et ne croyez pas que j’ai une quelconque obsession pour la morbidité. Simplement, chez l’homme l’angoisse de mort est une préoccupation de tous les instants, la problématique existentielle par défaut selon Irvin Yalom, et elle est pour la plupart du temps inconsciente. Réussir à se fixer un objectif, c’est quelque part réussir à dompter la mort, c’est également l’illusion de se réaliser avant notre mort et par conséquent de survivre à la mort. Autrement dit, lorsque nous réussissons à faire face sans peur à la mort, alors notre obsession de nous réaliser à travers la fixation d’objectifs s’estompe. Bien sûr, ce n’est pas simple.

La peur de ne pas avoir d’objectif, qui nous arrive pourtant à tous, est très anxiogène, c’est un sujet que je retrouve très souvent dans les entretiens que j’ai avec mes clients. Pourtant, les personnes qui courent après un objectif de vie pétri d’une ambition énorme montrent souvent des signes importants de névrose, c’est ceux-là qui sont les plus inquiétants ! Pensez à ceux qui se disent quand ils ont 12 ans qu’ils seront Président de la République. Pensez à ceux, il y en a certainement parmi vos proches, qui veulent devenir illustres parmi les illustres dans leur corporation. Souvent ils "réussissent" socialement, mais au dépens de leur entourage et de leur propre bien-être, et avec à la clé une chute inévitable et une boucle à boucler à nouveau. Pour ma part, pendant de nombreuses années, je les ai enviés, et les ai vus comme des modèles : et rien à faire, plus je me fixais des objectifs, plus j’échouais à les atteindre, obstinément. Avec en héritage un sentiment d’humiliation et l’angoisse de me lancer dans des projets et de ne pas aller jusqu’au bout.

Ensuite, j’ai réalisé que ne pas avoir d’objectif de vie identifié est un cadeau, si on l’accepte comme tel. Essayons un instant d’oublier que "dans la vie nous devons avoir un objectif", et laissons alors s’ouvrir le champ des possibles : tout à coup les limites tombent, les opportunités se présentent à nous, et notre chemin se dévoile. Ne pas avoir d’objectif identifié et prendre des chemins de traverse ne veut pas dire que nous sommes perdus. Je trouve très rassurant de me dire que ne pas avoir d’objectif identifié ne veut pas dire que je n’ai pas d’objectif et que je vais dans le mur. Accordons-nous cette confiance, et décidons qu’au fond de nous une partie sait, nous pouvons l’appeler notre intuition ou notre petite voix intérieure. Les opportunités ne se présentent que dans le présent, et le présent est la seule réalité qui soit. La peur et l’angoisse quant à elles, se nourrissent de l’avenir, elle ne connaissent pas le présent. Et d’ailleurs elles ne résistent généralement pas à l’épreuve du présent. Thierry Janssen dit, dans son livre Le travail d’une vie , qu’"accepter de partir à l’aventure dans notre propre vie, c’est (…) faire taire la peur de ne plus pouvoir exister en dehors de l’image que nous avons de nous-mêmes et du monde", cette image du monde qui bien souvent détermine nos projets et notre chemin.