Back to #ReAct

La conférence ReAct organisée par le Parlement européen s’est tenue au Palais de la Porte Dorée le 15 octobre dernier. Elle inaugure un cycle de conférences-débats interactives dans le cadre de la campagne d’information pour les élections européennes de mai 2014.

Back to #ReActAu programme de cette première conférence, une réflexion a été menée sur l’emploi en Europe qui est une urgence économique et sociale. Selon les dernières statistiques publiées par Eurostat, 26,595 millions d’hommes et de femmes étaient au chômage en août 2013 dans l’UE28 (10,9%), dont 19,178 millions dans la zone euro (12%).

Parmi eux, 5,499 millions de jeunes de moins de 25 ans étaient au chômage dans l’UE28, dont 3,457 millions dans la zone euro. En août 2013, le taux de chômage des jeunes s’est élevé à 23,3% dans l’UE28 et à 23,7% dans la zone euro, contre respectivement 23,1% et 23,4% en août 2012.

Véronique Auger, Rédactrice en Chef et présentatrice du magazine hebdomadaire « Avenue de l’Europe », a orchestré les débats avec la participation de Pervenche Berès, députée et présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, Pierre Cahuc, notamment membre du Conseil d’analyse économique du Premier Ministre, Jean-Marc Borello, fondateur de Groupe SOS et désormais Vice-président du Mouvement des entrepreneurs sociaux et Alexandre Malsch, cofondateur et directeur général de Meltygroup.

Le Parlement européen a voulu une approche interactive du débat à la fois en munissant l’assistance de boîtiers pour répondre aux questions posées, en diffusant en direct la conférence sur Youtube et en relayant les commentaires et les interrogations des internautes via Twitter avec le #React.

Pervenche Berès, une femme de combats

1381440_10152015286468825_319348143_nPervenche Berès, députée européenne depuis 1994, a introduit cette conférence-débat sur l’emploi. Elle évoque son combat pour lever davantage de fonds pour financer le social en Europe et pour lutter contre le chômage. Si l’Europe veut gagner la bataille de la mondialisation, alors elle doit valoriser « la qualité de son capital humain ».

Depuis la crise, de nombreux déséquilibres macroéconomiques coexistent dans la zone euro. P. Berès déplore que ce déséquilibre ne soit regardé que du point de vue économique. Face aux seuils en matière de chômage qui sont insupportables, P. Berès apprécie enfin que l’on vienne regarder ce qu’il se passe en matière d’emploi. En 2007, l’écart entre le taux de chômage le plus bas et le taux de chômage le plus haut était de 1 point. Cet écart passe à 10 points à fin 2012. P. Berès insiste sur le fait qu’avec l’euro, l’Europe a perdu une marge de manœuvre et que « si on ne décide pas de faire de la lutte pour l’emploi une priorité, cela ne se fera pas tout seul ». Quand bien même des investissements sont réalisés en Europe, ils sont très capitalistiques et non créateurs d’emploi. Pervenche Berès dénonce ce raisonnement.

La députée européenne propose de changer de raisonnement et explique une des mesures concrète en cours de mis en œuvre pour l’emploi des jeunes. Cette mesure, créée en juin 2013, va concerner 12 départements en France, s’adresse aux jeunes qui ne sont pas en formation, ni en apprentissage et qui n’ont pas d’emploi, au bout de 4 mois où ils sont dans cette situation doivent se voir proposer une formation ou un apprentissage ou un emploi avec une aide co-financée par l’Etat-membre et l’Union européenne.

C’est un grand changement pour l’Europe car auparavant pour faire face à ces chocs, l’Union européenne utilisait des fonds structurels. Là, pour la première fois, il est créé un instrument d’une nature un peu différente qui est les prémices de cette fameuse dimension sociale de l’Union économique et monétaire pour lequel beaucoup de députés se battent.

Pervenche Berès insiste en demandant à l’Union européenne de prendre en compte des indicateurs sociaux et d’en tirer les conséquences. Elle demande pourquoi l’article 9 du traité de Lisbonne n’est jamais utilisé. Cet article prévoit qu’à chaque fois que l’Europe mène une politique, elle doit mesurer son impact en matière sociale. C’est donc un des enjeux majeurs de la campagne électorale européenne qui va débuter.

Face à ces forts taux de chômage, la députée européenne indique que l’Europe a pris conscience de ce problème pouvant créer des foyers populistes anti-euro. Le consensus s’est fait autour de l’emploi des jeunes. C’est la raison pour laquelle en février 2013, une initiative en faveur de l’emploi des jeunes a été prise permettant de dégager 6 milliards d’euros pour financer dans les pays ou les régions où le taux de chômage des jeunes atteint 25%. Pervenche Berès s’est battue pour que l’âge des jeunes pris en compte soit les moins de 30 ans et non plus les moins de 25 ans. Elle a eu gain de cause auprès de l’Union européenne. En effet, à 30 ans, certains rentrent à peine sur le marché du travail et non pas encore des ressources pour leur assurer une qualité de vie descente.

Sur le smic européen, P. Berès est dans l’attente des discussions d’Angela Merkel avec le SPD afin de pouvoir mettre en place une grande coalition.

Enfin, P. Berès termine cette vaste réflexion sur la démocratie sociale qui sera au cœur des prochains débats au Parlement et qui nécessite l’engagement de tous les partenaires sociaux.

Pierre Cahuc, une théorie provocatrice

Back to #ReActPierre Cahuc a présenté une étude issue d’une enquête « World value survey » et a une approche plutôt théorique de la situation du marché du travail.

Il part du constat qu’il y a une grande diversité des situations d’emploi en Europe et que ces situations de fort taux de chômage perdurent la plupart du temps depuis 20 ans.

Face à ses différences de réglementation du travail et des licenciements, des institutions, de l’assurance chômage, de la performance des marchés du travail, la politique européenne pour l’emploi dispose à la fois d’un budget restreint et des moyens légaux d’intervention limités.

La Commission européenne joue donc un rôle de coordination et de conseil. Dans ce cadre, elle émet des avis sur l’assurance chômage, le dialogue social, le chômage partiel… en essayant de fixer des objectifs adaptés à chaque pays et à accroître les taux d’emploi.

Dans ce rôle de recommandation, la politique européenne essaye de prendre en compte les spécificités de chaque pays. Ces spécificités sont difficiles à prendre en compte car elles sont très différentes et très enracinées.

Pierre Cahuc évoque que la diversité culturelle des pays a été un obstacle à la mise en œuvre de la politique européenne de flexisécurité. La flexisécurité repose sur deux piliers, une assurance chômage généreuse avec un service public de l’emploi bien organisé et un système de protection de l’emploi très flexible.

Suite au rapport sur la flexisécurité de 2007, Pierre Cahuc évoque les difficultés qu’il a rencontrées. Pourquoi était-il si difficile de faire passer des idées qui semblent « bonnes » mais difficiles à mettre œuvre dans certains pays ?

Pierre Cahuc a constaté qu’en Europe, il existe une grande hétérogénéité des attitudes civiques ne permettant pas de mettre œuvre la flexisécurité.

Ces attitudes civiques peuvent être mesurées à partir d’enquêtes. Dans le cadre de l’enquête « World value survey », les questions posées font ressortir un degré de civisme différent pour des gens ayant la même religion, les mêmes revenus, les mêmes niveaux d’éducation, le même âge. On s’aperçoit qu’on retrouve le même type de différence et des spécificités fortement nationales qui perdurent depuis les années 80 dans ces pays.

Ces attitudes civiques sont très corrélées aux institutions du marché du travail. En effet pour un système d’assurance chômage efficace, il faut avoir une administration qui fonctionne bien, des bénéficiaires de l’assurance chômage qui respectent les règles et qu’il soit facile de faire respecter ces règles grâce à un ensemble de normes sociales qui sont en vigueur dans ces pays. Plus ces règles sont difficiles à mettre en œuvre, plus il est coûteux d’être trop généreux dans le système d’assurance chômage. Dans ce cas, il est aisé de comprendre qu’il est plus efficace de protéger les emplois.

Pierre Cahuc constate que dans les pays où il y a une attitude civique élevée, comme le Danemark, ces pays ont un niveau de flexisécurité important. A contrario, dans les pays où le niveau civique est moindre, il est donc plus coûteux de les faire passer d’un emploi à un autre et il faut en priorité protéger les emplois. Il sera difficile de leur verser une allocation chômage généreuse.

Dans les pays où l’attitude civique est élevée, ils ont adopté une politique d’assurance chômage généreuse et une protection de l’emploi moins élevée. Selon Pierre Cahuc, la mise en œuvre de la flexisécurité dépend du niveau de civisme du pays qui permet d’avoir un taux de chômage plus faible.

Dans les pays où les attitudes civiques se sont plus dégradées par rapport au Danemark, ces pays ont opté pour une assurance chômage moins généreuse et une protection de l’emploi de plus en forte en plus forte. Cette évolution va à contre-courant des préconisations de l’Union européenne mais elles semblent liées à des fondamentaux. Les contraintes sont liées au fonctionnement de chaque pays.

Pierre Cahuc évoque l’exemple du taux de portefeuilles rapportés lorsqu’on en jette un dans la rue. Au commissariat, on s’aperçoit que le taux de portefeuilles rapportés avec 100 euros est beaucoup plus faible dans les pays où le taux de civisme « déclaratif » est bas que dans les pays où le taux de civisme « déclaratif » est élevé.

Ces enquêtes nous renseignent sur des caractéristiques importantes des pays, « même si ce n’est pas toujours agréable à entendre » ajoute Pierre Cahuc.

Pour pouvoir agir sur la situation de chaque pays, il faut mener des actions en profondeur. Une des premières actions en profondeur est l’éducation qui joue un rôle important pour avoir accès au marché du travail mais aussi pour modeler les attitudes civiques.

Là aussi, il y a une grande hétérogénéité en Europe. Les méthodes d’éducation sont diverses et elles-mêmes associées aux attitudes civiques. Elles sont liées à la modélisation des institutions plus ou moins favorables à l’emploi. Tout ceci est très défavorable aux pays du Sud de l’Europe.

Néanmoins, il ne faut pas imiter à tout prix les modèles du Nord de l’Europe. En effet les liens familiaux sont plus forts dans le Sud de l’Europe.

L’enseignement que l’on doit tirer de cette grande hétérogénéité, est qu’ au sein de chaque pays les attentes et les possibilités de mettre en place des institutions sont très différentes. Il est donc très difficile de penser à une recette qui soit adaptée à tous les pays. Il faut donc rentrer en profondeur dans les spécificités de chaque pays pour comprendre non seulement ce qu’on peut changer mais aussi ce que l’on veut changer. Pierre Caguc ajoute « si je prends l’exemple des attitudes civiques , il est évident qu’il vaut mieux vivre dans un pays où les attitudes civiques ont un niveau élevé. Lorsqu’on pense aux valeurs familiales, cela se discute beaucoup plus. Certains personnes préfèrent rester plus longtemps au sein de la famille et sans emploi. Il faut prendre en compte également ce type de choix. ».

Certes les résultats de cette étude peuvent apparaître comme choquants mais il faut les prendre en considération dans la mise oeuvre des politiques de l’emploi au niveau européen.

Suite à cet exposé du civisme et de son impact dans l’accès du marché à l’emploi grâce à l’obtention de diplôme, Pierre Cahuc n’a pas répondu à une personne de nationalité espagnole, politologue, bénévole et chômeur, comme il se présente, qui parle plusieurs langue, qui est diplômé, qui s’est formé, qui a voyagé et appréhendé l’Europe et pourtant qui est au chômage. Pour ce débateur la vraie réponse au chômage des jeunes est de leur donner des opportunités.

Pierre Cahuc éludera la question et n’apportera pas de réponse à cette personne d’un haut niveau de civisme.

Jean-Marc Borello, un homme de valeurs

L’intervention de Jean-Marc Borello contraste fortement avec celle de Pierre Cahuc par son pragmatisme. Jean-Marc Borello, avec une gouaille chaleureuse, sans notes, témoigne de ses combats et de ses investissements quotidiens.

« L’entreprise sociale peut-elle être une réponse à la crise en Europe ? »

jmb_-57450L’entrepreneuriat social est une notion plutôt récente qui sera bientôt défini par une loi issue du ministère de Benoît Hamon. Cette loi permettra de poser un certains nombres de principes dont des principes juridiques de l’économie sociale et solidaire et au-delà de l’entrepreneuriat social.

A noter que l’économie sociale et solidaire représente 10% du PIB et 12% de l’emploi.

Jean-Marc Borello définit l’entreprise sociale dans le sens d’une entreprise avec un fort impact sociétal, d’ailleurs « le ministre en question étant bien positionné à Bercy ».

L’entreprise sociale, à l’instar du Groupe SOS fondé par Jean-Borello, a trois objectifs permanents : son impact économique (11 000 salariés et 600 000 millions d’euros de chiffre d’affaires pour le Groupe SOS), un impact social qu’il faut mesurer, de mieux en mieux, avec de nouveaux indicateurs, et un impact environnemental. Globalement, l’entreprise sociale est une entreprise qui est autant attachée à son impact économique, social qu’environnemental.

L’entreprise est une solution si l’entreprise se soucie de son impact sociétal et environnemental. De plus en plus de grandes entreprises tendent à mesurer « leurs externalités positives ou négatives ». C’est ce que propose l’ouvrage collectif « L’entreprise du XXIè siècle sera sociale (ou ne sera pas) » auquel Jean-Marc Borello a participé. Si le chef d’entreprise n’est pas « vertueux » en se souciant de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux, il met son entreprise en danger. Quand on sait la valeur de la marque pour tous les grands groupes du monde, on ne peut plus prendre le genre de risque de « faire fabriquer des baskets par des enfants en Chine », information qui peut vite être viralisée par internet et les réseaux sociaux.

Jean-Marc Borello insiste sur le fait que l’économie sociale a été contra-cyclique durant la crise économique. Les entreprises sociales ont recruté. D’ailleurs le Groupe SOS a 25% de croissance annuelle. Sur ces 7 dernières années, le Groupe SOS a une croissance interne de 10 à 15% et de 10 à 15% de croissance externe, c’est-à-dire de fusions-acquisitions, de rachats d’entreprises en difficulté.

En France, 400 000 emplois de cadres seront disponibles dans les 5 années qui viennent juste pour remplacer les personnes qui vont être à la retraite. Les jeunes polyglottes, diplômés ont un avenir dans l’entreprise sociale.

En effet, ce secteur s’est professionnalisé depuis les premiers militants, politiques, associatifs ou syndiqués qui ont débuté les entreprises sociales, laissant place à la relève issue d’HEC, de Sciences Po ou Polytechnique qui ont envie de donner un sens à leur carrière.

Le Groupe SOS a une gestion privée et une croissance continue. Il gère des hôpitaux privés non lucratifs, des maisons de retraites, des établissements de protection sociale ou judiciaire de la jeunesse, des gros dispositifs d’emploi et des dispositifs de solidarité, d’hébergement et d’accueil des handicapés.

Il investit également dans les entreprises d’insertion par l’activité économique (IAE) qui s’adressent aux personnes les plus éloignées de l’emploi et obtient un taux d’entrée dans l’emploi de 65%.

Pour Jean-Marc Borello, on a aujourd’hui la possibilité d’une économie différente. Il s’agit bien d’inventer un modèle économique qui soit au service de l’individu et de se poser la question : est-ce que l’entreprise peut-être un lieu d’inclusion sociale et non pas d’exclusion sociale comme « l’école qui passe son temps à sélectionner les meilleurs et à éjecter ceux qui sont d’abord les mauvais, puis les moins bons » ?

Cette inclusion sociale doit être prise en compte et mesurer grâce à des indicateurs.

L’entrepreneuriat social est pris de plus en plus au sérieux et pas uniquement en France. Le Groupe SOS est présent à Séoul. Il existe une alternative à la manière de faire de l’économie afin de renforcer l’intérêt général et donc de retrouver un emploi et de la garder.

Les entreprises sociales sont très présentes en Europe sous des modèles légèrement différents. Il n’y en a pas en Grèce.

Avec l’appui de Michel Barnier, l’Europe va mieux prendre en compte l’entrepreneuriat social dans ses financements de 2014.

Alexandre Malsch, le champ des possibles

1393477_10152014674798825_1430754877_nLa conférence se termine par une note de fraîcheur, de jeunesse arrosée de « cool » et de « truc » mais avec une expertise très concrète de ce jeune entrepreneur de 28 ans, Alexandre Malsch.

Derrière ce langage très personnel se cache un véritable entrepreneur qui aurait bien des leçons à donner aux managers Top and Down, fan de leur pouvoir en détenant l’information et en se réservant l’opportunité d’avoir des idées.

Alexandre Malsch est tout le contraire. Il est intelligent et s’entoure de personnes qui peuvent être autonomes et se fédérer pour leur entreprise. Il témoigne de sa bataille, des écueils qu’il a recontrés pour créer Melty.

Melty est rentable en 2010 avec 1,2 millions d’euros de chiffre d’affaires, 2,3 millions d’euros de CA en 2012 et 4,3 millions d’euros de CA en France en 2013. Melty s’est développé en 6 medias, avec 70 salariés, une soixantaine de free-lance. Melty est présent France, en Italie et en Espagne. 1,5 millions d’internautes en Italie et 1 millions en Espagne. A la fin de l’année, Melty va se déployer au Brésil et en Allemagne. Au total 27 millions d’internautes consultent Melty par mois. Entre 300 et 500 articles et 230 heures de vidéo sont produits chaque jour.

La moyenne d’âge des salariés est de 27 ans. 35 personnes ont été recrutées cette année. En 2012, 24 rédacteurs de moins de 25 ans ont été embauchés.

Alexandre Malsch dénonce la lourdeur des démarches administratives et aussi l’épée de Damoclès qui plane sur son entreprise à chaque renouvellement de loi de finances avec des modifications constantes de la réglementation fiscale qui freinent les investissements.

En revanche, en travaillant avec le Brésil et la Chine, A. Malsch s’est rendu compte de la simplification et la transparence des démarches administratives dans l’Union européenne.

C’est une belle vision de l’entrepreneuriat à moins de 30 ans et un moteur pour les jeunes au chômage qui auront envie de créer leur entreprise.

Les prochaines conférénces ReACT auront lieu à Varsovie le 14 novembre (sur le rôle de l’Union européenne dans le monde), à Francfort le 5 décembre (sur la solidarité financière entre pays européens), puis à Rome le 23 janvier (sur la qualité de vie en Europe) et enfin à Madrid le 20 février (sur la crise économique).

Pour aller plus loin :