Enceinte

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Après moi sont arrivées deux frangines. Alors que pour la dernière, j'avais 15 ans et Copilote déjà dans ma vie, j'ai vécu la grossesse précédente de ma mère à travers mes 4 ans et "J'attends un enfant". Aujourd'hui maman à mon tour, bien des questions que je me posais alors que ma mère attendait ma sœur ont trouvé réponse, au travers de mes propres grossesses. Aujourd'hui maman à son tour, ma sœur que j'ai "vue" grandir dans le ventre de ma mère vient de vivre une grossesse. Récemment même, un peu lorsque comme on vient d'acheter une voiture et qu'on a la sensation de la voir partout, j'ai appris que 2 jeunes filles qui me sont chères allaient à leur tour devenir mère. Et alors que ces heureuses nouvelles prometteuses de bien du bonheur sont sensées me renvoyer à mon état de grossesse, curieusement, je n'arrive plus à me replonger dans mes états 3 fois passés. " Voilà qui devrait te donner envie de faire le 4ème, ce serait rigolo, une petite dernière tardive, qui serait chouchoutée par ses grands frères." "Tu te rappelles comment c'est tout petit et vulnérable?», "Ah, les nausées, la sensation quand il bouge pour la première fois...".

Je ne me rappelle de rien ou alors très vaguement. J'ai eu envie d'analyser mon ressenti. Je me souviens de mon frisson à la vue de la fameuse petite ligne bleue du révélateur de grossesse. Toute seule sur le trône, même si je savais que j'étais enceinte, même si l'enfant était conjointement désiré, même si je me sentais prête et en demande vitale de maternité, seul un frisson m'a parcourue à ce moment-là. Je me souviens de l'annonce faite aux parents concernés par l'arrivée de Jérémy, le premier bébé que le bébé que j'étais à l'époque allait mettre au monde. Le refus primaire et catégorique de ma mère qui m'avait raccroché au nez et rappelée le lendemain en ayant déjà fait l'inventaire de tout le nécessaire de la nouvelle mère qu'elle tenait disponible. Je me souviens du regard silencieux de Copilote auquel il ne m'avait fallu que sa main posée sur mon ventre par mes soins pour qu'il devienne père. Ses yeux noyés dans mes larmes, son étreinte, ses tremblements. Je me souviens des nausées insoutenables, où l'estomac dans la gorge, j'allais travailler le cœur léger, sur mon scooter. Je me souviens des premiers coups de pieds, plutôt comme des gargouillis au début et grosses coliques sur la fin. Des crises de hoquet in utero incurables, je ne pouvais pas lui faire peur pour qu'il cesse. Des petits pieds dans ma colonne vertébrale aux uppercuts dans mon foie qui me laissaient KO. Des chevilles enflées, de mon cou et ma tête qui ne faisaient plus qu'un, des jours comptés à espérer une erreur dans la date, des envies d'expulser avant l'heure. Je me souviens ne pas avoir aimé que mon corps se transforme à la fois à cause, grâce et malgré moi. Je me souviens de cette solitude constante alors que j'étais non seulement habitée mais énormément entourée, comme surprotégée.

Je me souviens qu'à ce moment là, on ne faisait pas confiance en ma toute puissance de devenir mère. Probablement ce qui fait la complexité de ma relation avec Jérémy aujourd'hui, mais certainement celle que vivent la plupart des mères avec leur aîné. Je me souviens de l'angoisse réelle au moment de m'exposer impuissante, au nez et à la barbe de la foule médicale qui se penchait sur mon cas, mon vagin et la tête de mon enfant. Trop de monde pour que la Nature fasse son œuvre, l'angoisse du problème vital qui monte, ce monde qui s'agite, qui chuchote et moi qui pleure, qui appelle ma mère, Copilote. Je me souviens de ce cri déchirant qui a fait le silence immédiat. Ce silence dont Jérémy et moi nous sommes emparés, ce bouclier derrière lequel enfin, nous allions nous retrouver afin de faire connaissance. Je me souviens qu'à ce moment précis, la grossesse a disparu de mes pensées. Je me souviens d'avoir eu ce sentiment de travail accompli, de mission remplie. Un peu comme le maçon qui essuie les plâtres avant de ranger ses outils et disparaître au profit de son résultat. La réussite d'une œuvre réside dans le fait qu'on ne voit pas toute la complexité de sa façon. Mais ce que je retiens de ma grossesse, ce n'est nullement un sentiment de plénitude, de fierté ou de fabuleux moment de communion. Lorsque j'étais enceinte, j'attendais un enfant, je ne le connaissais pas, je vivais un état physiologique, une étape nécessaire à la vie, mais dont je ne peux pas dire qu'il m'a plu. Je voulais avoir un enfant, pas être enceinte.

Crédit photo: Raebrune (Flickr)